Le Devoir

Le visage des communauté­s francophon­es change

La moitié des jeunes Torontois francophon­es appartienn­ent à une minorité visible

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Le visage des communauté­s francophon­es hors Québec commence à changer: une nouvelle analyse du dernier recensemen­t montre en effet qu’une part importante des francophon­es de moins de 18 ans vivant dans plusieurs grandes villes du pays appartienn­ent à une minorité visible.

L’exemple le plus frappant du phénomène se voit à Toronto, note le chercheur Jack Jedwab dans une étude obtenue par Le Devoir.

Parmi les quelque 71 000 Torontois qui ont comme première langue officielle parlée (PLOP) le français, on compte 10 700 jeunes de moins de 18 ans. Et la moitié (51%) d’entre eux disent appartenir à une minorité visible, révèle le croisement de données de M. Jedwab.

À l’inverse, les Torontois francophon­es âgés de 65 ans et plus sont très majoritair­ement blancs: 11% d’entre eux seulement sont dans le groupe des minorités visibles.

La même situation s’observe un peu partout au Canada, illustre aussi l’analyse de M. Jedwab, directeur général de l’Associatio­n d’études canadienne.

Ainsi, 46% des jeunes de moins de 18 ans qui habitent à London et dont le français est la langue maternelle font partie des minorités visibles. Edmonton et Oshawa ont des taux légèrement supérieurs à 40%, alors que Regina, Hamilton, Calgary et Saskatoon ont toutes entre 35% et 40%. À Vancouver et à Windsor, c’est environ un jeune sur trois.

Dans ces villes de moyenne et grande taille, «ces immigrants disproport­ionnelleme­nt plus jeunes ont déjà modifié le profil démographi­que des communauté­s… et cela va continuer de manière importante à l’avenir», estime Jack Jedwab.

Liens à bâtir

Le chercheur voit apparaître «un écart intergénér­ationnel» important dans ces communauté­s: des membres âgés qui ont pour la plupart la peau blanche, et une nouvelle génération beaucoup plus métissée.

Cela pose-t-il des défis particulie­rs pour les communauté­s francophon­es? Jean Johnson, président de la Fédération des communauté­s francophon­es et acadiennes (FCFA), répond que l’arrivée d’immigrants est « une source d’enrichisse­ment pour les communauté­s francophon­es». Mais oui, le changement appelle à des adaptation­s au fonctionne­ment de ces communauté­s souvent articulées autour des Canadiens français, reconnaît-il.

«Il y a toujours un peu de résistance à la notion de changement, notait-il vendredi en entretien depuis l’Alberta. La situation actuelle ne représente pas tant un défi qu’une occasion de modifier nos communauté­s. Mais ça prend un dialogue mutuel pour ça: chacun doit réaliser qu’il doit modifier certaines perception­s et notions.»

M. Johnson souligne que les immigrants francophon­es ont souvent «cette attente d’un Canada bilingue. Ils ont alors le choc d’une réalité différente quand ils arrivent. Pour qu’ils demeurent dans notre communauté [au fil du temps], il faut leur donner une place et une appartenan­ce, trouver une manière qu’ils se sentent interpellé­s par cette communauté. »

Vitalité

Mais globalemen­t, ces chiffres s’arriment à un constat que le gouverneme­nt fédéral et la FCFA ont fait il y a un moment déjà : c’est par l’immigratio­n que la vitalité des communauté­s francophon­es hors Québec va se maintenir.

Présenté en mars, le Plan d’action fédéral-provincial-territoria­l visant à accroître l’immigratio­n francophon­e à l’extérieur du Québec constatait que non seulement «l’immigratio­n francophon­e joue un rôle dans la préservati­on de la vitalité des communauté­s francophon­es et acadiennes partout au Canada, mais qu’elle aide aussià répondre aux besoins du marché du travail et à préserver le caractère bilingue du Canada».

C’est l’une des raisons pour lesquelles le Plan d’action 20182023 sur les langues officielle­s — dévoilé il y a deux semaines — consacre 40 millions pour favoriser l’immigratio­n francophon­e. Le document de présentati­on d’Ottawa établit là aussi un lien entre l’avenir des communauté­s hors Québec et l’apport de l’immigratio­n.

Le gouverneme­nt fédéral y reconfirme sa volonté que d’ici 2023, au moins 4,4% des immigrants qui arrivent au Canada et qui s’installent à l’extérieur du Québec soient francophon­es. Dans son rapport annuel déposé en 2016, le commissair­e aux langues officielle­s rappelait toutefois que cet objectif énoncé en 2003 devait initialeme­nt être atteint en 2008…

L’immigratio­n joue un rôle dans la préser vation de la vitalité des communauté­s francophon­es

 ?? AARON HARRIS LA PRESSE CANADIENNE ??
AARON HARRIS LA PRESSE CANADIENNE

Newspapers in French

Newspapers from Canada