Le Devoir

Deux sordides affaires de viol confronten­t l’Inde à ses démons

- ALEXANDRE MARCHAND à New Delhi

Deux retentissa­ntes affaires de viol faisaient les gros titres de la presse cette semaine en Inde, obligeant ce pays-continent d’Asie du Sud à se confronter à la face sombre de sa société.

«Que disons-nous pour un pays qui a converti le viol collectif et la mort d’une enfant en une arme politique?» s’insurgeait vendredi l’intellectu­el Pratab Bhanu Mehta dans une tribune publiée par le quotidien Indian Express.

Impunité des élites, complicité de la police, tensions entre communauté­s… Deux agressions sexuelles distinctes, survenue pour l’une en Uttar Pradesh et pour l’autre au Jammu-et-Cachemire, soulèvent des problèmes sociétaux qui dépassent le fléau des violences sexuelles.

Si ces affaires remontent chacune à plusieurs mois, elles ont connu de nouveaux développem­ents ces derniers jours. Des manifestat­ions se sont tenues en réponse, mais sans générer pour l’instant un mouvement massif semblable à celui déclenché par le viol collectif et le meurtre d’une jeune fille à New Delhi en 2012 — une histoire qui avait choqué la planète.

Milieux marginalis­és

Là où la classe moyenne indienne s’identifiai­t à l’étudiante en médecine suppliciée dans un bus en sortant du cinéma avec un ami, ces deux faits divers ont pour décor des milieux beaucoup plus modestes et marginalis­és.

En Uttar Pradesh, grand État pauvre et notoiremen­t corrompu, un influent législateu­r du parti du premier ministre Narendra Modi est accusé d’avoir violé en juin une adolescent­e dans le district d’Unnao.

L’affaire a pris une ampleur nationale depuis la mort en détention policière, la semaine dernière, du père de la jeune fille. Cette dernière a tenté de s’immoler devant la résidence du ministre en chef de l’État pour protester contre la police, qu’elle accuse d’avoir torturé son père, car il souhaitait continuer les poursuites.

Les autorités locales n’ont entrepris aucune action envers les suspects jusqu’à ce que mercredi soir, sous la pression médiatique, le dossier soit transféré au Central Bureau of Investigat­ion (CBI, équivalent indien du FBI).

Élu de l’Assemblée législativ­e d’Uttar Pradesh sous la bannière des nationalis­tes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), Kuldeep Singh Sengar dément les accusation­s portées contre lui. «Ce sont des gens de basses classes. C’est une conspirati­on de criminels», a-til déclaré à des journalist­es.

Violence collective

Plus au nord, dans l’État du Jammu-et-Cachemire, une enquête a donné une nouvelle dimension de violence communauta­ire au viol suivi de la mort d’une fillette musulmane de huit ans en janvier dans une région à majorité hindoue.

Selon l’acte d’accusation de la police, rendu public cette semaine, la victime a été kidnappée par des habitants locaux qui l’ont droguée avant de la garder captive pendant cinq jours dans une cabane puis un temple hindou. Sa dépouille avait été retrouvée en forêt.

Durant sa détention, plusieurs personnes — parmi lesquelles un policier — l’auraient violée à tour de rôle avant de la tuer. Huit hommes ont été arrêtés.

Selon les enquêteurs, ils ont voulu terrifier les Bakerwals, communauté nomade de bergers musulmans dont était issue l’enfant, pour les dissuader de venir dans leur zone.

Le premier ministre Modi, nationalis­te hindou, reste silencieux sur cette affaire comme sur celle en Uttar Pradesh. En revanche, sa ministre chargée des droits de la femme et des enfants, Maneka Gandhi, veut faire modifier la législatio­n en vigueur afin que soit infligée «la peine de mort pour le viol d’enfants de moins de 12 ans».

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