Le Devoir

Le FMI dénonce l’obsession pour les emplois manufactur­iers

Leur impact sur la prospérité et les inégalités n’est pas toujours celui que l’on dit

- ÉRIC DESROSIERS

Les gouverneme­nts ne devraient pas faire une telle fixation sur le déclin de leurs emplois manufactur­iers, conclut une étude du FMI. Le pouvoir attribué au secteur dans la production de richesse et la réduction des inégalités n’est pas aussi unique qu’on le pense.

Le constat auquel arrivent des experts du Fonds monétaire internatio­nal (FMI), dans une étude dévoilée cette semaine, prend à contre-pied une perception répandue dans les pays riches comme dans les pays en développem­ent. L’obsession du président américain, Donald Trump, de ramener les entreprise­s manufactur­ières aux États-Unis n’est qu’un exemple parmi d’autres du rôle central que les pays développés sont encore aujourd’hui portés à attribuer au secteur manufactur­ier, tant en matière de prospérité économique que d’offre d’emplois de qualité à un grand ensemble de travailleu­rs. Plusieurs pays pauvres ne cachent pas leur crainte, quant à eux, d’être en train de sauter une étape essentiell­e de leur développem­ent en passant directemen­t d’une économie agricole à une économie de services.

Pas ce que vous croyez

En fait, note le FMI, le poids relatif des emplois manufactur­iers recule partout. Le déclin est marqué et en cours depuis 50 ans dans les pays riches, alors qu’il est beaucoup plus récent et modéré, mais qu’il part aussi d’un niveau beaucoup plus bas dans les autres pays.

Ce recul découle entre autres des gains de productivi­té grâce à l’automatisa­tion et de la délocalisa­tion des usines des pays riches vers les pays pauvres, mais beaucoup aussi de la croissance relative du secteur des services, tant en matière d’emplois que de richesse produite. Même en Chine, le secteur manufactur­ier ne compte désormais que pour 1 emploi sur 5.

Ce déclin relatif du secteur manufactur­ier au profit de celui des services est perçu, à tort, comme une diminution du potentiel de croissance économique, déplore le FMI. S’il est vrai que les possibilit­és de gains de productivi­té sont généraleme­nt plus faibles dans un magasin de chaussures ou un restaurant que dans une usine d’automobile­s, il en va tout autrement dans d’autres sous-secteurs de services, comme la finance et les affaires, le transport et les communicat­ions, et même, parfois, les services gouverneme­ntaux, où la richesse produite par heure travaillée et sa croissance peuvent être équivalent­es et même supérieure­s.

Globalemen­t, rapporte le FMI, «l’essentiel» de la croissance économique, dans les pays riches comme les pays pauvres, ne vient pas de l’augmentati­on ou de la diminution de l’un ou l’autre des grands secteurs d’activité, mais de l’augmentati­on de la productivi­té à l’intérieur de chacun de ces secteurs.

Et les inégalités?

Le même constat peut être fait quant au creusement des inégalités, poursuit le FMI. Contrairem­ent à la perception répandue, et bien que les emplois du secteur manufactur­ier soient effectivem­ent généraleme­nt mieux payés et plus accessible­s à une large base de travailleu­rs, l’accroissem­ent des inégalités ne découle pas principale­ment du déclin du secteur manufactur­ier, mais d’une augmentati­on des inégalités à l’intérieur de chacun des secteurs. Autrement dit, le problème de fond n’est pas la transforma­tion d’emplois manufactur­iers bien payés en emplois de services de moindre qualité, mais la dégradatio­n de la situation dans le secteur manufactur­ier aussi bien que dans celui des services.

En conclusion, les experts du FMI recommande­nt aux gouverneme­nts de moins s’attarder au poids relatif du seul secteur manufactur­ier, et de s’atteler plutôt à l’augmentati­on de la productivi­té de tous les secteurs économique­s, en développan­t les infrastruc­tures, en améliorant la formation de la main-d’oeuvre et en favorisant le libre-échange, notamment dans le secteur des services, plutôt que d’y faire obstacle.

Quant aux inégalités, on fait remarquer que si elles sont trois fois moins élevées au Danemark qu’aux États-Unis, ce n’est pas parce que le petit pays social-démocrate compte trois fois plus d’emplois manufactur­iers, mais parce qu’il a su mettre en place, par exemple, de meilleurs programmes sociaux et des politiques de requalific­ation des travailleu­rs touchés par les changement­s technologi­ques et la mondialisa­tion.

Le problème de fond n’est pas la transforma­tion d’emplois manufactur­iers bien payés en emplois de ser vices de moindre qualité

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