Le gouvernement Couillard osera-t-il mettre fin au statu quo ?
Dix ans après son rapport phare, Jean Pronovost affirme à regret que le monde agricole est « resté au même point »
Dix ans après le dépôt de son rapport phare proposant 49 façons de réformer l’agriculture au Québec, Jean Pronovost constate à regret que le statu quo persiste et il ne voit rien dans la nouvelle politique bioalimentaire du Québec qui lui permette d’espérer un changement de cap significatif. Il ne demande maintenant qu’à être surpris par le gouvernement Couillard.
«Je ne suis pas prêt à dire que tout va basculer avec [cette politique bioalimentaire]. J’attends de voir les mesures qui vont être mises en place. C’est ce qui va faire foi de tout. Parce qu’avec une même affirmation, on peut faire bien des choses, ou ne rien faire du tout», affirme en entrevue au Devoir celui qui a donné son nom à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (CAAAQ), dont les conclusions ont été publiées au début de l’année 2008.
«J’espère qu’on va bifurquer, qu’on va faire des choses qu’on n’a pas faites et qui doivent être faites. Mais est-ce qu’on va le faire? Je ne le sais pas», dit-il au sujet de la Politique bioalimentaire 2018-2025 présentée vendredi dernier par le ministre de l’Agriculture, Laurent Lessard.
Peu de changements
La commission que Jean Pronovost a présidée il y a dix ans a épluché près de 800 mémoires pour en arriver à 49 recommandations visant à moderniser le monde agricole québécois. À l’époque, la remise en question du monopole syndical de l’Union des producteurs agricoles (UPA) a fait grand bruit, éclipsant des propositions concernant l’aide aux agriculteurs, la mise en marché des produits agricoles, le respect de l’environnement ou encore la protection du territoire, lesquelles sont pour la plupart restées lettre morte.
«C’était des innovations qui faisaient peur aux gens, même si elles étaient modestes, se souvient-il. On les avait pensées sans remettre en cause les piliers du système. »
En 2013, le gouvernement péquiste de Pauline Marois a présenté une politique de souveraineté alimentaire misant sur l’achat local et l’augmentation des exportations. Et voilà qu’aujourd’hui la nouvelle politique du gouvernement libéral reprend essentiellement les mêmes thèmes.
«On n’a pas réussi à faire décoller une véritable politique agricole, quel que soit le gouvernement, soutient M. Pronovost. On a toujours eu des mesures partielles, un peu politiques, qui se sont traduites par un statu quo qui a perduré. Il n’y a pas d’autres mots que ça.»
«On n’a pas fait le chemin que je souhaitais qu’on fasse il y a dix ans. On est restés au même point. Exactement au même point », ajoute-t-il.
Sept cibles
La nouvelle politique bioalimentaire — dont le préfixe «bio» fait référence à la vie, et non spécifiquement à la production biologique — s’accompagne de sept cibles pour 2025. Québec veut notamment atteindre des investissements de 15 milliards de dollars en production agricole, en capture et en transformation alimentaire, faire passer de 8 à 14 milliards
de dollars la valeur des exportations bioalimentaires internationales du Québec, faire grimper de 24 à 34 milliards de dollars la valeur du contenu québécois dans les produits achetés au Québec et doubler la superficie en production biologique pour qu’elle passe de 49 000 hectares en 2016 à 98 000 hectares dans huit ans.
«À mon avis, on ne met pas encore assez l’accent sur le biologique, note M. Pronovost, en rappelant qu’un peu plus de 2% du territoire québécois cultivé est consacré à ce type de production. Doubler ça, c’est encore bien petit. »
«Oublis notoires»
Jean Pronovost estime que la nouvelle politique du gouvernement Couillard a le mérite de ratisser large et d’aborder des questions trop souvent ignorées, comme la santé de la population et l’importance de la nutrition.
Cet observateur du monde agricole, qui préside aujourd’hui l’Institut Jean-Garon, constate cependant des «oublis notoires» liés aux «problèmes structuraux de l’agriculture». Il évoque notamment l’enjeu de la relève agricole, que le gouvernement devrait selon lui attaquer de front en offrant par exemple des quotas de production à bas prix aux jeunes agriculteurs. Il propose aussi d’éliminer les obstacles réglementaires qui empêchent les petites fermes de se développer.
«Pour moi, les mégafermes, si on n’a que ça, ça fait du Québec rural un vrai désert, laisse-til tomber. Au moment où on se parle, les petites fermes n’ont pas encore assez de place. »
«C’est comme si ces problèmes-là, on les met de côté et on les tient pour acquis, se désole-t-il. Les gestes que je viens de décrire, on aurait eu dix ans pour les faire. »