Le Devoir

Celui à qui tout réussit

Les collégiens choisissen­t de couronner le roman Royal, de Jean-Philippe Baril Guérard

- MARIE-MICHÈLE SIOUI à Québec

C’est un antagonist­e détestable­ment digne d’être aimé, imaginé par l’auteur JeanPhilip­pe Baril Guérard, qui a charmé les 800 jeunes ayant participé au 15e Prix des collégiens. Au Salon du livre de Québec vendredi, les étudiants ont remis cette récompense à son roman Royal, une franche critique de la classe possédante qu’ils ont eu tant de mal à abhorrer.

Le personnage principal de Baril Guérard dirait qu’avec un Prix des collégiens, il y a de quoi faire chier «la provincial­e sportive, le fif péquiste, l’Italien du West Island, la fille de syndicalis­te et le Carabin». C’est presque mieux qu’un excellent GPA (grade point average, ou moyenne générale)…

Au coeur du récit de Royal, il y a donc cet étudiant en droit — celui qui qualifie ses collègues de classe des surnoms énumérés ci-dessus — qui carbure à la performanc­e, moyennant l’usage de smart drugs, et au sexe plus ou moins, ou pas du tout, consentant. En marge de sa course au phénoménal GPA, un violent mal de vivre et un exit bag (pour se suicider), jamais très loin du parfait polo Fred Perry.

« Il y a un moment dans le livre où une des filles avec qui il [le personnage principal] couche dit: “je ne sais pas si tu es vraiment profond, ou vraiment superficie­l”. Je pense que ça définit bien le livre. C’est tellement sur la ligne, tellement conflictue­l, tellement ambigu», résume l’étudiante du cégep de Sainte-Foy Rosie Nadeau. Elle fait partie de la soixantain­e de collégiens qui ont débattu jusqu’à 22h, jeudi soir, jusqu’à choisir de couronner Royal, publié aux éditions de Ta Mère. Dans la course, De bois debout de Jean-François Caron (La Peuplade), Au grand soleil cachez vos filles d’Abla Farhoud (VLB), Le plongeur de Stéphane Larue (Le Quartanier) et Le corps des bêtes d’Audrée Wilhelmy (Leméac).

Roi de la montagne

Mais au terme de la lutte, c’est Royal et son personnage principal que les étudiants ont primé. «Je trouve ça drôle, le fait que des collégiens aient récompensé Royal. Parce que Royal, c’est le livre de la performanc­e, le livre d’un personnage qui est détestable, haïssable, condamnabl­e par ses actions, mais qui réussit quand même, dans sa quête malsaine de performanc­e», souligne Rosie Nadeau. «Alors, je me dis: qu’est-ce que ça veut dire, que nous, les collégiens, on récompense ce livre-là?»

Avec elle, Mathilde Lehoux et Gabrielle Dempster-Larochelle, du cégep Garneau, tergiverse­nt sur leur amour (ou leur amourhaine?) pour le personnage principal. Dans le livre écrit à la deuxième personne du singulier, le personnage central n’est jamais nommé. «Moi, je l’ai vraiment beaucoup aimé le personnage. Je suis incapable de le détester en fait», reconnaît Mathilde. «Tu sais qu’il est détestable, qu’il fait des actions détestable­s, mais en même temps, tu ne peux pas t’empêcher de l’aimer, de compatir avec lui», renchérit Gabrielle. «Parce que ce qu’il traverse, on le traverse tous, dans la société de performanc­e qu’on habite.»

Ce «tu» dans la narration a peut-être eu un effet plus grand que le trio sexe-alcool-drogue quiponctue­leroman. «La chose dont je me suis beaucoup fait parler, c’est l’anxiété de performanc­e», relate Jean-Philippe Baril Guérard. «De ce qu’on m’a dit, c’est ce qui a parlé le plus aux jeunes. Étonnammen­t, la drogue et le sexe, souvent les gens étaient plus choqués [de ça] qu’autre chose.»

À ses yeux, l’obtention du Prix des collégiens confirme qu’il a réussi, malgré ses «vieux» 29 ans, à décrire une réalité qui n’est pas la sienne. «Il y a toujours cette affaire-là quand on vieillit ou quand on sort d’une réalité: le souci “mon dieu, est-ce que je suis encore capable de représente­r ça correcteme­nt?”, admet-il. «Pour moi, ce prix-là, ça semble signifier que j’ai réussi ma shot .»

Réussir. Dans Royal, l’auteur l’avait décrit comme suit: «Toi, tu comprends pas la médiocrité, tu aimes pas la médiocrité, tu chies sur la médiocrité. Toi, t’es venu ici pour être le roi de la montagne.» Et puis voilà. Vendredi, il a encore gagné.

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Le romancier et dramaturge québécois était tout sourire, vendredi, au Salon du livre de Québec.

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