Trudeau face à ses contradictions en environnement
On a beau dire que la politique du pire est la pire des politiques, elle demeure tentante. Tout en se défendant bien d’en être lui-même un partisan, Jacques Parizeau prenait plaisir à citer Chateaubriand: «Levez-vous vite, orages désirés»!
L’opposition du PQ au projet de pipeline Énergie Est était sans aucun doute sincère, mais il entendait bien profiter de l’opposition qu’il suscitait un peu partout au Québec pour démontrer le caractère oppressant du fédéralisme.
Cela faisait partie de la campagne de publicité intitulée «50 + 1 réponses pour l’indépendance» lancée en septembre dernier. «Le Canada aura le dernier mot sur la construction du pipeline. Le Québec devra consacrer temps et argent pour faire de la résistance », y expliquaiton, alors que, dans un Québec indépendant, ce serait « non, point final ».
L’abandon du projet Énergie Est «pour raisons d’affaires» a coupé court à cette démonstration d’autoritarisme fédéral, mais elle est en voie d’être complétée en Colombie-Britannique, où le projet Trans Mountain de la multinationale texane Kinder Morgan rencontre au moins autant d’opposition que celui de TransCanada en suscitait au Québec.
À entendre le premier ministre John Horgan, les chances d’en arriver à une entente avec sa voisine albertaine et collègue néodémocrate, Rachel Notley, lors de la rencontre organisée en catastrophe par le premier ministre Trudeau, semblent presque inexistantes.
Malgré les délais que cela impliquera, Ottawa devra vraisemblablement s’en remettre à la Cour suprême pour faire triompher ce que M. Trudeau estime être «l’intérêt national», qui semble correspondre parfaitement à la définition qu’en donne l’industrie pétrolière, selon laquelle toute limitation à son expansion nuit nécessairement à l’ensemble de l’économie canadienne.
Le monde entier mesure la distance entre ce que Justin Trudeau dit et ce qu’il fait
Il était sans doute inévitable que sa prétention de réconcilier la protection de l’environnement et le développement des hydrocarbures place un jour ou l’autre M. Trudeau face à une contradiction insoluble.
Les dommages politiques seront certainement considérables pour le PLC, qui pourrait être rayé de la Colombie-Britannique à l’élection fédérale de l’automne 2019, sans que les électeurs albertains lui soient reconnaissants pour autant.
L’image internationale de celui qui s’est présenté comme le nouveau leader de la lutte contre les changements climatiques sera également altérée. Pour ce qu’il en reste, direz-vous. Le monde entier doit maintenant avoir mesuré toute la distance qu’il y a entre ce que Justin Trudeau dit et ce qu’il fait.
Ce que Mme Notley a qualifié de «crise constitutionnelle », une expression généralement réservée aux sautes d’humeur du Québec, ne risque cependant pas de provoquer l’éclatement du pays. M. Horgan n’a jamais menacé de quitter la fédération si on lui imposait le projet Trans Mountain.
S’il est vrai que son intérêt électoral commande au gouvernement minoritaire de Horgan de s’y opposer et que personne ne peut accuser sa province de vivre aux crochets des autres, il n’en fait pas moins la preuve qu’on peut très bien être fédéraliste tout en se tenant debout face à Ottawa. Contrairement à son homologue québécois, il ne croit manifestement pas qu’il a le « devoir de s’entendre » avec le premier ministre du Canada.
Philippe Couillard ne s’est jamais opposé formellement au projet Énergie Est, dont l’abandon l’a soulagé d’un grand poids. Au contraire, il était d’avis que le Québec devait apporter sa contribution à l’économie canadienne, rappelant à qui voulait l’entendre que le gouvernement fédéral dépensait au Québec 16 milliards de plus ce qu’il y collectait et qu’une grande partie de cette manne provenait de l’exploitation des hydrocarbures de l’Ouest.
Son ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, a manifesté son enthousiasme d’entrée de jeu. Selon lui, le projet était «extrêmement positif» pour le Québec et allait créer «des centaines et des centaines d’emplois».
Le gouvernement a senti le besoin de mettre quelques bémols et de se préoccuper de son acceptabilité sociale seulement quand le ministre de l’Environnement, David Heurtel, a mis les pieds dans le plat en autorisant des forages dans la pouponnière de bélugas de Cacouna et qu’il y a eu une levée de boucliers en région et dans le monde municipal.
C’est plutôt Denis Coderre qui est monté aux barricades pour faire valoir que les retombées économiques du pipeline seraient insignifiantes par rapport aux risques environnementaux. Pendant que M. Couillard restait sur son quantà-soi, c’est le maire de Montréal qui subissait les attaques du Canada anglais.
Quand M. Couillard dit qu’il a le devoir de s’entendre avec son homologue fédéral, on croit comprendre qu’il se sent l’obligation de préserver l’unité canadienne à tout prix, alors que M. Horgan paraît surtout préoccupé par la sécurité de ses commettants.