Le Devoir

Toute une tâche pour quiconque voudrait sortir du plan carbone fédéral

- FRANÇOIS DESJARDINS

Les citoyens de l’Ontario et de l’Alberta pourraient décider de changer de gouverneme­nt aux prochaines élections, mais les menaces de Doug Ford et de Jason Kenney au sujet de la tarificati­on du carbone ne mettent pas en péril le système pancanadie­n en train de voir le jour. Il faudrait peut-être mieux l’expliquer, estime un expert.

Irrités par le projet fédéral d’obliger les provinces à se doter d’un plan, ces deux chefs d’opposition évoquent déjà des recours devant les tribunaux. Or, les gouverneme­nts provinciau­x qui seraient tentés de se retirer ne feraient que déclencher le «filet de sécurité» d’Ottawa, insiste Chris Ragan, le professeur de l’Université McGill qui préside la Commission de l’écofiscali­té du Canada.

«Tant et aussi longtemps que ce gouverneme­nt fédéral est en place, la tarificati­on du carbone va se faire, dit M. Ragan en entrevue. Si ça ne se passe pas au niveau des provinces, ça va se passer au niveau fédéral. Je ne crois pas que c’est en péril, mais c’est un sujet d’actualité. Et c’est bien d’en parler, c’est une politique importante.»

Chacun a son plan

Le filet de sécurité prévu par le gouverneme­nt fédéral consistera­it à imposer un prix du carbone aux provinces qui ne souhaitera­ient pas créer leur propre plan. Les provinces avaient jusqu’à la fin du mois de mars pour signifier leur préférence pour un plan fédéral plutôt qu’un plan provincial. Aucune d’entre elles ne s’est manifestée.

En Ontario, où se tiendra une élection générale cet été, le chef conservate­ur n’a pas caché son dédain pour la tarificati­on du carbone, une taxe «destructri­ce d’emplois». Le scrutin général en Alberta est prévu en 2019. Déjà, le chef conservate­ur Jason Kenney, dont le parti a le vent dans les voiles dans les sondages, dit qu’il délaissera­it la tarificati­on du carbone pour que les électeurs puissent eux-mêmes se prononcer sur de futures taxes dans le cadre d’un référendum.

Le Québec, la Colombie-Britanniqu­e, l’Ontario et l’Alberta ont déjà mis en place des systèmes de tarificati­on. Dans le cas de la ColombieBr­itannique, par exemple, le gouverneme­nt a instauré sa taxe en 2008 avec l’objectif qu’elle soit à coût nul pour les contribuab­les. Il a offert des allégement­s fiscaux. Le système québécois, arrimé avec celui de l’Ontario et de la Californie, plafonne les droits d’émission des entreprise­s et leur permet de les revendre s’ils réduisent leurs émissions pour respecter les limites.

Avis juridique défavorabl­e

Le Manitoba a cherché l’an dernier à savoir ce qui se produirait s’il refusait d’embarquer avec Ottawa. L’environnem­ent est, après tout, une compétence partagée. Le gouverneme­nt a donc commandé un avis juridique. «Si on dit “non”, on a Trudeau. Si on va vers les tribunaux, on perd», a tranché le premier ministre Brian Pallister en octobre 2017. À la fin 2016, il avait pourtant refusé la propositio­n d’Ottawa, disant préférer un plan conçu au Manitoba. «Nos options sont assez claires, je dirais. Nous élaborons notre propre plan et nous le lançons», a-t-il conclu en octobre dernier.

«En Alberta et en Ontario, l’opposition soupçonne une certaine vulnérabil­ité chez les partis

au pouvoir, dit Chris Ragan. Et ils s’opposent à cette politique. En même temps, Doug Ford, Jason Kenney, et même Scott Moe, en Saskatchew­an, disent avoir l’économie à coeur et se disent pour une réduction des émissions.» Ces positions mènent inévitable­ment à une réflexion sur la tarificati­on du carbone, dit-il. Et dans les cercles réfractair­es, aucune solution de remplaceme­nt claire n’a jusqu’ici été proposée. « Quelle que soit l’option envisagée, elle serait plus chère que la tarificati­on du carbone. »

À l’échelle mondiale, 42 gouverneme­nts nationaux ont mis en place des systèmes de tarificati­on du carbone, comme l’ont fait 25 gouverneme­nts régionaux et municipaux. La Chine est en train de lancer le sien, qui couvrira seulement le secteur de l’électricit­é pour commencer.

La vente de droits d’émission, au Québec, devait générer 1,3 milliard de 2013 à 2020. Concrèteme­nt, elle se traduit entre autres par quelques sous de plus sur le prix du litre d’essence. Ces droits sont désormais vendus lors d’enchères communes organisées par le Québec, la Californie et l’Ontario. Le prix obtenu, lors de la dernière vente en février, était de 18,44$ la tonne. En Colombie-Britanniqu­e, la taxe carbone est actuelleme­nt de 35 $. Le plan fédéral prévoit que le prix grimpera jusqu’à 50 $ d’ici 2022.

«Ce qu’Ottawa a dit très clairement, c’est que si le filet de sécurité est déclenché, les revenus provenant de la tarificati­on du carbone demeureron­t dans la province. Ce n’est pas de l’argent qui ira des provinces vers Ottawa, dit Chris Ragan. Je pense que c’était intelligen­t de procéder comme ça. »

 ?? JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE ?? La Trans Mountain à Kamloops, en Colombie-Britanniqu­e
JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE La Trans Mountain à Kamloops, en Colombie-Britanniqu­e

Newspapers in French

Newspapers from Canada