Le Devoir

Écrans et grilles télé

Baron noir, série politique et exemple à suivre

- STÉPHANE BAILLARGEO­N LE DEVOIR

Il suffit de quelques minutes de visionneme­nt de Baron noir pour y être accroc, comme si on venait de recevoir sa première dose de Fentanyl. Le drame politique dynamique est porté par une écriture complexe, un jeu dynamique, une réalisatio­n nerveuse.

L’histoire captivante raconte la lutte vengeresse entre deux pires amis, le député-maire de Dunkerque Philippe Rickwaert (irréprocha­ble Kad Merad) et le candidat à la présidence de la République Francis Laugier (Niels Arestrup). Le champ de bataille socialiste où tous les coups semblent permis mène des usines en crise du nord paumé jusqu’au plus haut sommet empesé des ministères parisiens.

Bref, c’est un must, comme on disait autrefois par là-bas.

Il suffit aussi de quelques scènes pour regretter encore une fois l’absence déplorable d’au moins une, rien qu’une production semblable ici même. Oui bon, Paris paraît fournir à peu près autant de magouilles et de bassesses que Washington. Quand même, on ne peut pas dire que le jeu politique national manque d’affaires louches et de personnage­s intrigants. À lui seul, le rapport de la commissair­e Charbonnea­u fournit plus de canevas de scénarios qu’une collection de numéros de TV Hebdo.

Bref, SVP, on en veut, nous aussi, au moins une bonne série politique à la Baron noir.

Bouilles et magouilles

Revenons-y donc. L’action débute juste avant le premier tour d’une élection présidenti­elle. Le candidat du PS Laugier a bénéficié de comptes trafiqués par son allié de longue date, le député Rickwaert. Étouffer l’affaire va faire monter la pression de plusieurs centaines de bars jusqu’à risquer l’explosion de tout un système, avec les dommages collatérau­x qu’on devine.

Des films (Quai d’Orsay, Ides of March…) et des séries (House of Cards, Borgen, Veep, Our Cartoon President ou même Pérusse Cité) concentren­t le regard au plus près et au plus haut du pouvoir. L’originalit­é et, à vrai dire, la force de Baron noir proviennen­t du décentreme­nt de la perspectiv­e. L’action se concentre surtout à Dunkerque et le personnage devient le maire-député, le baron noir.

Ce gars-là fera passer l’ex-maire Vaillancou­rt de Laval pour un scout vendeur de chocolat. Comme disait l’autre, même le mal se fait bien et le député-maire n’a aucun scrupule : il pige dans les caisses des HLM, vole ou barbouille les affiches de ses adversaire­s, manipule les syndicats, achète les électeurs, pactise avec ses ennemis et poignarde à mort ses alliés, sans oublier de casser des urnes.

Avec sa bouille de gars bien ordinaire, Kad Merad rend presque le bonhomme acceptable. Seulement,

ce prototype du Français bourru, frondeur, mal embouché appartient à un monde foutu. Les usines délocalise­nt la production et les grèves ouvrières n’y changent rien. Les très vieilles bases socio-idéologiqu­es héritées du XIXe siècle disparaiss­ent. Un des candidats qui se présente contre Rickwaert est communiste.

Mécanique et machinatio­ns

Les deux rivaux viennent du camp socialiste, ni plus ni moins croche que les autres. On comprend en visionnant les premiers épisodes de la première saison (il y en a deux) que la rivalité entre l’homme du sommet et celui de la base fournit l’essentiel de l’huile à la mécanique narrative. Une conseillèr­e (Anna Mouglalis) formée dans les grandes écoles de la République, pure gauche caviar, a aussi sa part de responsabi­lités dans le jeu des machinatio­ns.

Le résultat réaliste dépend en bonne partie du travail d’Éric Benzekri, coscénaris­te avec le réalisateu­r Jean-Baptiste Delafon. Il avait des atouts précieux pour réussir, dont une connaissan­ce du terrain. Diplômé en études politiques, il a milité au sein du mouvement socialiste et travaillé au cabinet de Jean-Luc Mélanchon au début du siècle. Il connaît donc la machine de l’intérieur.

Il a d’ailleurs confié en entrevue à Télérama avoir voulu parler de son pays avec Baron noir. «C’est une série sur la France, sur les difficulté­s du pays à gérer sa situation, à parler de lui-même, à savoir où il va. […] Qui sommes-nous? Où allonsnous

Il suffit aussi de quelques scènes pour regretter encore une fois l’absence déplorable d’au moins une, rien qu’une, production semblable ici même. À lui seul, le rapport de la commissair­e Charbonnea­u fournit plus de canevas de scénarios qu’une collection de numéros de TV Hebdo.

? Qu’est-ce qui fait une nation ? Qu’est-ce qui fait une classe sociale ou un groupe d’intérêt? C’est ça, la politique. »

On voudrait entendre parler de la même chose ici, avec notre propre baron noir, rouge ou bleu. Dommage qu’on ne le fasse pas.

Baron noir

Tous les lundis, 20 h à partir du 16 avril, à Canal+ Internatio­nal

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PHOTOS CANAL + L’histoire raconte la lutte vengeresse entre le député-maire de Dunkerque Philippe Rickwaert (Kad Merad, photo du haut) et le candidat à la présidence de la République Francis Laugier (Niels Arestrup, en bas à gauche).

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