Louis Hamelin
Après William Johnson, l’ancien pitbull de la Gazette et d’Alliance Québec, faisant de René Lévesque un menteur pathologique, voici que deux historiens canadiens s’attaquent, dans le « devoir d’histoire » du Devoir du samedi 7 avril, au rêve de Champlain…
Ce rêve a d’abord donné son titre à la monumentale biographie du fondateur de la Nouvelle-France dont accoucha l’historien américain David Hackett Fischer (Le rêve de Champlain, Boréal, 2011, traduit de l’anglais par Daniel Poliquin). L’expression semble être ensuite passée dans le langage courant, au point d’avoir été reprise, en 2015, par un éditorialiste du Globe and Mail à propos de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR).
Ce rêve de Champlain que décrit Hackett Fischer serait la vision qui présida aux actions de ce navigateur, explorateur et soldat, et à son projet de colonie française au nord des Amériques: celle d’un Nouveau Monde pacifique et tolérant, favorisant les alliances et les unions interraciales, prêchant l’égalité, l’ouverture et le métissage, une société des nations d’une nature presque utopique, multiculturelle avant la lettre.
Messieurs de Waele et Cohen, auteurs du devoir d’histoire susmentionné, contestent, en gros, l’existence d’un tel rêve d’un monde meilleur chez Champlain. « Les historiens qui s’intéressent à ses actions en Amérique du Nord, font-ils remarquer, ne se fient presque exclusivement qu’aux écrits de l’explorateur pour présenter ses faits et gestes et leurs réceptions par ses interlocuteurs. » Ils soupçonnent donc le sieur Champlain d’avoir, dans ses livres, systématiquement enjolivé les perspectives locales dans le but de convaincre son monarque et les commanditaires de son aventure de lui fournir « les hommes et l’argent nécessaires à la consolidation de l’établissement ».
Il est vrai qu’une source unique prête flanc à la critique et qu’il convient de l’approcher avec suspicion. Mais les 134 pages de notes, suivies d’une bibliographie de 53 pages, qui apparaissent à la fin du Champlain de Hackett Fischer montrent assez que parler d’une source unique à l’origine de cette vaste et magistrale démonstration relève de la plus évidente mauvaise foi.
On y constate que, pour tout ce qui concerne les contacts avec les Premières Nations, l’auteur s’est aussi, entre autres, abondamment appuyé sur les Relations des Jésuites, qui sont, à l’époque, ce qui se rapproche le plus d’un corpus scientifique d’observations sur le terrain. Cohen et de Waele objecteront sans doute que les Jésuites, c’est bien connu, avaient eux aussi leur programme en Canada, et donc intérêt à dorer la pilule à leurs lecteurs européens.
Donc, au fond, tout le monde ment. À part, bien sûr, les deux universitaires qui, drapés dans la « science historique » dont ils se gargarisent à la fin de leur texte, écrivent, eux, cela va de soi, sans aucun biais ni parti pris d’aucune sorte.
Après avoir reconnu, au passage, la bienveillance de Champlain à l’égard des Premières Nations, le duo s’ingénie à prouver que le père de l’Amérique française n’était pas «[tolérant] au sens philosophique du terme, [son] approche de l’altérité est fondamentalement pragmatique », puisque «les Français ont alors besoin d’entretenir de bonnes relations avec les autochtones». Puis, le coup de grâce: «[son] projet est, contrairement à ce que prétend Fischer, marchand et non humaniste».
On ne peut pas être les deux à la fois? À ce compte-là, la Révolution américaine, déclenchée par l’imposition d’une taxation abusive au seul profit de la métropole, fut une simple affaire de boutiquiers.
« Nous tenons pour vérités évidentes que tous les hommes sont créés égaux, et qu’ils sont doués par leur créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels se trouvent la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. »
Les mots de Thomas Jefferson continuent de résonner même si le rêve donne aujourd’hui l’impression de virer au cauchemar dé-climatisé. Les idéaux s’usent, les systèmes se corrompent, les institutions s’affaiblissent, les principes se pervertissent, les présidents passent, mais les écrits restent. Et s’ils nous font assez rêver, ils sont parfois même réédités. Ainsi, chez Gallmeister, le triptyque formé par la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, la Constitution des États-Unis d’Amérique et la Déclaration des droits est devenu un beau petit livre de poche (Nous le peuple, 2018, traduit de l’américain par Jacques Mailhos).
Lancé un peu plus de 15 ans après la Conquête, le fraternel appel contenu dans ces textes fut ignoré par nos ancêtres soumis à un clergé à la botte de l’occupant. Mais il est encore temps de faire nôtre le grand récit de Champlain, nettement plus inspirant, en 2018, que la saga de John Macdonald et de sa clique d’affairistes faisant main basse sur l’Ouest et expédiant les chefs indiens et métis à la potence.