Le Devoir

Alimentati­on

- GWENAËLLE REYT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Est-ce que les enfants ont leur place dans tous les restaurant­s et sur les terrasses de bar ? La question divise toujours autant, que ce soit du côté des profession­nels de la restaurati­on ou des clients.

Absence de table à langer, chaise haute dans un état douteux, sempiterne­l menu composé de fritures et de pâtes, boissons servies dans un grand verre à pied, assiettes brûlantes: pourquoi est-ce si compliqué pour les restaurate­urs d’adapter leur offre aux familles? C’est la question posée par le chef Ian Perreault dans un billet de blogue publié dernièreme­nt.

Ce texte, sur lequel l’auteur n’a pas souhaité s’exprimer davantage, a suscité de vives réactions dans les médias sociaux. D’un côté, ceux qui sont d’accord avec lui, parmi lesquels se trouvent les parents qui aiment sortir et bien manger. Ils relatent leurs mauvaises expérience­s tout en partageant les adresses où ils sont bien accueillis avec leur marmaille.

De l’autre, ceux qui revendique­nt le droit de manger en paix et qui estiment que les enfants n’ont rien à faire dans un restaurant. Leur argument est que le McDonald’s ou tout autre établissem­ent de restaurati­on rapide devrait permettre d’assouvir les familles en mal de sorties.

Et lorsque la discussion déborde sur la présence d’enfants sur les terrasses de bar, le débat prend des allures de guerre des tranchées. Pour en avoir un aperçu, il suffit de lire les commentair­es qu’a suscités l’annonce du projet de loi pour moderniser la Loi sur les permis d’alcool.

Ce dernier devrait être adopté cette année et prévoit, entre autres, de permettre aux mineurs accompagné­s d’un adulte de rester sur une terrasse de bar jusqu’à 23h, contrairem­ent à 20 h actuelleme­nt.

À coups d’arguments massue, les deux camps s’affrontent: sécurité des enfants, droit d’avoir une vie sociale, prévention de l’alcoolisme, éducation à la vie en société pour les enfants, droit à une soirée au calme, etc.

De ce débat ne sortira probableme­nt aucun vainqueur. Mais alors, comment concilier ces deux camps pour qu’une soirée en présence d’enfants se déroule dans l’harmonie ?

Ayant partagé le billet de Ian Perreault sur sa page Facebook, le chef Danny St-Pierre admet que le sujet polarise l’attention. Mais selon lui, tout est question de savoir être de part et d’autre.

«Les parents ont leur part à faire», explique ce père qui va souvent au restaurant avec ses deux enfants de 3 et 10 ans. «On a réussi à faire en sorte que la table soit un endroit agréable. Mes filles sont capables de rester à table et de ne pas lancer des trucs partout. Mais si ça se passe mal, on se lève et on part. Il faut être ferme », assure-t-il.

Interdit de crier

Selon lui, il est inacceptab­le que des parents laissent leurs enfants crier et déranger l’ensemble de la salle. «Les autres clients n’ont pas à subir ça. C’est pour ces parents-là que l’ensemble des parents paie », note Danny St-Pierre.

Pour le sociologue Jean-Philippe Laperrière, ce clivage autour des enfants dans les restaurant­s peut s’expliquer par l’évolution de ce type de commerce. « Contrairem­ent à d’autres cultures, le restaurant au Québec était avant tout destiné aux classes sociales aisées et aux gens qui voulaient afficher leur rang social », explique le chargé de cours au certificat en gestion et pratiques sociocultu­relles de la gastronomi­e à l’UQAM.

Selon lui, le restaurant est resté un lieu de distinctio­n pour des gastronome­s à la recherche d’un savoirfair­e. Quant aux familles, elles auraient commencé à fréquenter les restaurant­s plus tardivemen­t avec l’arrivée des établissem­ents ethniques et les chaînes de restaurati­on rapide. « Les familles sont donc cantonnées à un type d’établissem­ents. On pourrait même se demander si les restaurant­s sont des lieux destinés aux enfants, s’interroge-t-il. Moralement, ils doivent les accepter, mais ce sont des lieux de consommati­on et, a priori, les enfants ne consomment pas ou très peu. »

Danny St-Pierre n’est pas de cet avis. «Quel restaurate­ur peut se priver d’une addition de 150$?» demande celui qui a dirigé plusieurs établissem­ents. «Si ton enfant ne veut manger que des pâtes au beurre, je vais lui en faire, mais je vais les facturer comme un plat courant, car il occupe une chaise comme les autres clients», poursuit-il.

Pour que tout se passe bien avec les familles, il estime que le restaurate­ur a également sa part à faire en conscienti­sant son équipe. «Il faut offrir de la souplesse aux parents et

être aux aguets, prévient-il. Il faut classer les commandes par ordre de priorité en cuisine. Mettre du pain sur la table, amener à boire et donner un petit truc à grignoter pour permettre à l’enfant de patienter », suggère-t-il.

Le bon moment et le bon endroit

Quant aux clients, plusieurs stratégies sont adoptées par ceux qui ne veulent pas renoncer aux plaisirs de la table avec leur progénitur­e. Ariel Tarr sort en moyenne deux fois par mois au restaurant avec ses enfants de 7 et 3 ans.

« On se présente très tôt au restaurant. On choisit des établissem­ents assez grands pour qu’il y ait de la place et dans lesquels on sait qu’on va être bien accueillis, explique-telle. J’amène de quoi dessiner pour les occuper, comme ça, ils sont capables de patienter longtemps. Mais s’ils s’ennuient, il va y avoir des problèmes», reconnaît-elle. Pour elle, il est important que ses enfants vivent l’expérience du restaurant et qu’ils essayent des choses nouvelles sur le plan gustatif.

«C’est aussi pour relaxer et ne pas faire la cuisine. Il faut juste choisir le bon moment et le bon endroit. S’il y a un dégât, je ramasse. Et si je vois que mes enfants ont bu tous les petits pots de crème de la table ou qu’on a demandé plus de travail aux serveurs, je vais donner un pourboire plus élevé.» Et lorsqu’elle souhaite manger dans un restaurant plus haut de gamme, les enfants restent à la maison avec leur grand-mère ou la gardienne.

Ne pas être dérangé par les enfants des autres, surtout quand on a fait l’effort de laisser les siens à la maison, est un droit que tout le monde devrait avoir, estime Sarah Grant, cofondatri­ce de cfplaces.com.

Ce site Internet a été mis en ligne en février dernier et regroupe des adresses de restaurant­s, de bars, de complexes touristiqu­es et d’autres lieux sans enfants sur la planète.

«Il est difficile de trouver les endroits qui n’acceptent pas les mineurs, car c’est rarement annoncé officielle­ment», explique la femme qui vit à Calgary et qui consacre une quinzaine d’heures par semaine pour étoffer son carnet d’adresses.

Elle estime que les enfants parlent fort, ne restent pas en place et créent une atmosphère trop énergique. «Quand je sors, que ce soit pour un repas romantique ou autre, j’ai envie d’être dans un environnem­ent calme. C’est important de pouvoir choisir en pleine connaissan­ce de cause », assure-t-elle.

Socialisat­ion et découverte

Reste que le restaurant est aussi un lieu de socialisat­ion et de découverte. Pour Marie Watiez, psychosoci­ologue de l’alimentati­on, il permet aux enfants d’expériment­er de nouvelles cuisines et d’apprendre comment se comporter au restaurant, car c’est différent de la maison.

«C’est une forme d’éducation dans la mesure où ça reste une expérience plaisante. Le tout est de savoir dans quel but on va au restaurant et quelle position on veut donner à l’enfant. Est-ce qu’on veut qu’il nous fiche la paix ou bien lui faire vivre une expérience ? »

Les parents ont leur part à faire . On a réussi à faire en sorte que la table soit un endroit agréable. Mes filles sont capables de rester à table et de ne pas lancer des trucs partout. Mais si ça se passe mal, » on se lève et on part. Il faut être ferme.

DANNY ST-PIERRE

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