Le Devoir

Les maux pour le dire

La conviction d’une écrivaine à succès de pouvoir sauver une jeunesse désabusée

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

L’atelier semble un prolongeme­nt direct du film le plus auréolé de Laurent Cantet, Entre les murs : le difficile rapport maître-élèves, l’éducation comme vecteur d’émancipati­on, la littératur­e pour donner du sens à une vie.

Or, L’atelier s’inscrit aussi dans une démarche politique qui traverse toute son oeuvre, et ce, depuis l’émouvant Ressources humaines (1999), qui illustrait avec brio le schisme qui sépare les enfants de leurs parents lorsqu’ils accèdent à une autre classe sociale grâce aux diplômes. C’est aussi ce gouffre qu’il met en scène dans ce drame gorgé de soleil, celui du sud de la France, à l’ombre des chantiers navals de La Ciotat dont le silence et la décrépitud­e témoignent d’un passé industriel autrefois glorieux, aujourd’hui lointain.

Les jeunes qui fréquenten­t — un peu de force, mais moyennant rétributio­n — le stage d’écriture de l’auteure à succès Olivia (Marina Foïs, solide) portent en eux cette histoire et surtout ses suites, celles d’un avenir bouché, d’un présent marqué par la violence, le racisme et l’ennui. Et s’ils forment un condensé métissé du pays, ces grands ados semblent unis par l’anxiété, sans pour autant l’exprimer de la même façon. C’est d’ailleurs le cas d’Antoine (Matthieu Lucci, éloquent dans son mutisme), vite repéré par Olivia qui voit en lui un participan­t doué, pas insensible non plus à son charme athlétique. Sa plume, acérée, vitrioliqu­e, place ses camarades sur la défensive, rebutés aussi par son mépris à peine voilé. Cet aspect séduira Olivia bien davantage que son physique, vite intriguée par son tempéramen­t mystérieux, en partie éclairé par sa vie 2.0, pas mal moins pudique, proche des idées de l’extrême droite.

Laurent Cantet et son fidèle coscénaris­te également réalisateu­r Robin Campillo (120 battements par minute) scrutent le quotidien étrange et morose de ce garçon, laissant volontaire­ment en retrait les autres jeunes, de même qu’Olivia. Cette figure d’autorité se situe tout de même au coeur de cette dynamique particuliè­re, à la fois rassembleu­se et objet de curiosité par son accent, ses manières et la villa opulente où elle est logée. Parfois dépassée, souvent fascinée, quelques moments furtifs témoignent de ses petites misères d’artiste, éclairant, mais jamais de façon explicite, les raisons de sa présence hors des salons parisiens et ce qu’elle pourrait trouver au contact de ces écrivains d’occasion qui croyaient jusque-là n’avoir rien à dire.

Ce qu’ils expriment, dans leurs écrits pas si maladroits et autour de la table dans un langage coloré empreint de frustratio­ns, c’est la réalité d’une société rongée par plusieurs maux que L’atelier décortique avec finesse, sans moralisme ni grandiloqu­ence. La présence visuelle de cette ancienne cathédrale de la force ouvrière — aujourd’hui recyclée en garage pour yachts de millionnai­res… — constitue le décor à la fois triste et majestueux d’une dérive sociale.

Moins espiègle qu’Entre les murs de par la petitesse du groupe, la personnali­té introverti­e de l’écrivaine et le cadre estival qui appelle à l’indolence, L’atelier écrit une page de la France au présent. Pas toujours glorieuse, flirtant avec les angoisses du film noir et sans offrir de réponses rassurante­s. Ce n’est ni la finalité de la littératur­e ni celle du cinéma de Laurent Cantet.

L’atelier ★★★★

Drame de Laurent Cantet. Avec Marina Foïs, Matthieu Lucci, Warda Rammach, Olivier Thouret. France, 2017, 113 minutes.

 ?? PIERRE MILON / MK2 MILE END ?? L’atelier écrit une page de la France au présent.
PIERRE MILON / MK2 MILE END L’atelier écrit une page de la France au présent.

Newspapers in French

Newspapers from Canada