Les maux pour le dire
La conviction d’une écrivaine à succès de pouvoir sauver une jeunesse désabusée
L’atelier semble un prolongement direct du film le plus auréolé de Laurent Cantet, Entre les murs : le difficile rapport maître-élèves, l’éducation comme vecteur d’émancipation, la littérature pour donner du sens à une vie.
Or, L’atelier s’inscrit aussi dans une démarche politique qui traverse toute son oeuvre, et ce, depuis l’émouvant Ressources humaines (1999), qui illustrait avec brio le schisme qui sépare les enfants de leurs parents lorsqu’ils accèdent à une autre classe sociale grâce aux diplômes. C’est aussi ce gouffre qu’il met en scène dans ce drame gorgé de soleil, celui du sud de la France, à l’ombre des chantiers navals de La Ciotat dont le silence et la décrépitude témoignent d’un passé industriel autrefois glorieux, aujourd’hui lointain.
Les jeunes qui fréquentent — un peu de force, mais moyennant rétribution — le stage d’écriture de l’auteure à succès Olivia (Marina Foïs, solide) portent en eux cette histoire et surtout ses suites, celles d’un avenir bouché, d’un présent marqué par la violence, le racisme et l’ennui. Et s’ils forment un condensé métissé du pays, ces grands ados semblent unis par l’anxiété, sans pour autant l’exprimer de la même façon. C’est d’ailleurs le cas d’Antoine (Matthieu Lucci, éloquent dans son mutisme), vite repéré par Olivia qui voit en lui un participant doué, pas insensible non plus à son charme athlétique. Sa plume, acérée, vitriolique, place ses camarades sur la défensive, rebutés aussi par son mépris à peine voilé. Cet aspect séduira Olivia bien davantage que son physique, vite intriguée par son tempérament mystérieux, en partie éclairé par sa vie 2.0, pas mal moins pudique, proche des idées de l’extrême droite.
Laurent Cantet et son fidèle coscénariste également réalisateur Robin Campillo (120 battements par minute) scrutent le quotidien étrange et morose de ce garçon, laissant volontairement en retrait les autres jeunes, de même qu’Olivia. Cette figure d’autorité se situe tout de même au coeur de cette dynamique particulière, à la fois rassembleuse et objet de curiosité par son accent, ses manières et la villa opulente où elle est logée. Parfois dépassée, souvent fascinée, quelques moments furtifs témoignent de ses petites misères d’artiste, éclairant, mais jamais de façon explicite, les raisons de sa présence hors des salons parisiens et ce qu’elle pourrait trouver au contact de ces écrivains d’occasion qui croyaient jusque-là n’avoir rien à dire.
Ce qu’ils expriment, dans leurs écrits pas si maladroits et autour de la table dans un langage coloré empreint de frustrations, c’est la réalité d’une société rongée par plusieurs maux que L’atelier décortique avec finesse, sans moralisme ni grandiloquence. La présence visuelle de cette ancienne cathédrale de la force ouvrière — aujourd’hui recyclée en garage pour yachts de millionnaires… — constitue le décor à la fois triste et majestueux d’une dérive sociale.
Moins espiègle qu’Entre les murs de par la petitesse du groupe, la personnalité introvertie de l’écrivaine et le cadre estival qui appelle à l’indolence, L’atelier écrit une page de la France au présent. Pas toujours glorieuse, flirtant avec les angoisses du film noir et sans offrir de réponses rassurantes. Ce n’est ni la finalité de la littérature ni celle du cinéma de Laurent Cantet.
L’atelier ★★★★
Drame de Laurent Cantet. Avec Marina Foïs, Matthieu Lucci, Warda Rammach, Olivier Thouret. France, 2017, 113 minutes.