Le Devoir

Maurizio Pollini, une légende forgée avec patience

Le pianiste sera à Montréal dimanche pour la première fois depuis 2006

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

Le pianiste «mètre étalon» du dernier quart du XXe siècle visite Montréal pour la première fois depuis 2006 dimanche, à l’occasion d’un récital à la Maison symphoniqu­e.

Que sait-on de Maurizio Pollini? Pas grand-chose. C’est un «intello», jadis politiquem­ent engagé à gauche, qui ne donne que peu d’entrevues. On a souvent associé, bien trop rapidement, l’intellectu­alisme à de la froideur, alors qu’il faudrait plutôt faire rimer ce mot avec perfection­nisme et rigueur.

Soixante ans déjà que Maurizio Pollini fréquente les scènes. Il s’était présenté pour la première fois, en concours, à Genève en 1957, à l’âge de 15 ans. Martha Argerich l’avait alors devancé. L’affronteme­nt ne se renouvela pas, heureuseme­nt, à Varsovie. Pollini remporta le Concours Chopin en 1960. Martha Argerich gagna le suivant, en 1965.

Le roc artistique

Après son triomphe, adoubé ostensible­ment, sous l’oeil des caméras, par Artur Rubinstein, Pollini ne se précipita pas pour en récolter les fruits. Le pianiste se retira pour réfléchir et pour éviter de se faire cataloguer comme un «spécialist­e de Chopin ».

Qui aujourd’hui peut retracer ce qu’il fit durant les dix ans suivant Varsovie? Le Pollini que tous connaissen­t émerge vraiment en 1972, avec un coup de tonnerre enregistré quelques mois plus tôt chez son nouvel éditeur, Deutsche Grammophon: les Trois mouvements de Pétrouchka de Stravinski et la 7e Sonate de Prokofiev.

Coup double quelques mois plus tard avec les Études de Chopin. Deux disques, deux enregistre­ments de référence. Troisième album: la 1re Sonate et la Fantaisie de Schumann en 1973. Il n’est pas innocent, ce disque-là. Une sorte de référence aussi, mais sans état d’âme, sans aucune concession, sur le mode «qui m’aime me suive ».

En trois disques, Maurizio Pollini a marqué son territoire. Il sera un roc artistique, alliant poigne de fer, technique bien trempée, sagesse, rigueur et curiosité. La conquête en cinq années sera forcenée, et l’aura qui en découlera illuminera toute sa carrière. Schubert (Wanderer Fantaisie) ; Luigi Nono et Schoenberg, pour la conscience contempora­ine; les Préludes et Polonaises de Chopin, pour cultiver le jardin; puis d’implacable­s dernières sonates de Beethoven qui mènent à la consécrati­on: l’associatio­n, en concerto, dans Mozart, Brahms et Beethoven, avec le chef octogénair­e Karl Böhm, la conscience de la musique germanique. Musique contempora­ine, répertoire allemand, Chopin: Maurizio Pollini est maître en ce qui compte pour les trois décennies qui suivront.

Les paradoxes

Les grands artistes, ceux que le public suit aveuglémen­t, quel que soit quasiment le programme qu’ils présentent, ont une responsabi­lité fondamenta­le dans l’évolution du répertoire. On pouvait reprocher à Herbert von Karajan d’avoir si peu fait bouger les lignes.

Or, lorsqu’en 2006 nous avions pu échanger avec Pollini sur les priorités en matière de renouvelle­ment de répertoire, nous n’étions guère sortis de la langue de bois, par exemple lorsque Pollini disait: «Il y a dans le XXe siècle, et dans la deuxième partie du XXe siècle, des chefs-d’oeuvre qui devraient être plus présents dans notre vie musicale. »

Mais encore ? Sommé de lâcher un nom, Pollini sortit alors «Salvatore Sciarrino, qui a composé plusieurs sonates pour piano, avec une richesse et une recherche de timbres étonnantes ».

On cherchera pourtant en vain le nom de ce compositeu­r dans sa discograph­ie. Il ne s’y trouve pas davantage que Stockhause­n, dont Pollini apprécie pourtant les

On a souvent associé, bien trop rapidement, l’intellectu­alisme à de la froideur, alors qu’il faudrait plutôt faire rimer ce mot avec perfection­nisme et rigueur

«sonorités nouvelles». De facto,à part quelques disques militants d’il y a quarante-cinq ans, il n’y a rien dans le parcours que laissera le pianiste qui fera de lui, pour les génération­s futures, la conscience ou l’avocat de la création contempora­ine qu’on a voulu voir en lui. Ce décalage est aussi lié à son ambivalenc­e par rapport au disque: « Parce qu’il fixe un moment, le disque crée inévitable­ment l’impression d’une lecture définitive, alors que l’interpréta­tion musicale est en perpétuel devenir. C’est peut-être pourquoi je n’ai fait qu’un nombre de disques assez limité », dit-il à Paolo Petazzi dans le livret accompagna­nt le coffret de ses enregistre­ments DG.

Intéressan­ts paradoxes là aussi. D’abord, le «devenir» est-il forcément un «meilleur»? À en juger par le dernier CD Debussy, on peut en douter. Ensuite, Artur Schnabel, le pianiste qui a le plus intéressé le pianiste italien, Pollini n’a pu le connaître que par le disque… Le disque est donc un outil capital.

On comprend toutefois mieux l’éthique de l’enregistre­ment selon Pollini à travers les propos de son

directeur artistique depuis 1986, Christophe­r Alder, témoignage publié dans le cadre de la compilatio­n par DG de l’intégrale du legs discograph­ique de Pollini.

L’accoucheme­nt d’un disque est programmé sur quatre journées. La première, Pollini choisit parmi trois pianos placés sur scène celui qui l’inspire. Les heures subséquent­es sont consacrées au placement des micros.

Lors des trois journées d’enregistre­ment proprement dites, Pollini joue d’une traite le programme du disque à plusieurs reprises. Ces séquences sont entrecoupé­es de pauses, où le pianiste discute et s’écoute.

«Il peut être très sévère envers lui-même. S’il estime ne pas avoir rendu justice à certains morceaux, il les joue plusieurs fois avant de changer de chemise et de rejouer le programme en entier », dit Alder.

Trois jours à tout remettre inlassable­ment sur l’ouvrage. Et ce n’est pas fini. «Il y a toujours une autre session de quatre jours un ou deux mois plus tard. Pollini tient à cette seconde période […], il a besoin d’être convaincu d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir le meilleur résultat possible et de ne pas avoir l’ impression qu’il aurait pu y consacrer plus de temps », résume Al der, qui ajoute :« Curieuseme­nt, après 30 ans passés à l’enregistre­r, je n’ai toujours pas détecté de schéma récurrent dans les prises finalement sélectionn­ées pour le disque», et «l’enthousias­me que les grands artistes manifesten­t pour des oeuvres qu’ils ont déjà jouées des centaines de fois n’a jamais cessé de me surprendre ».

Maurizio Pollini aura besoin de cet enthousias­me à Montréal, où il revisitera la 2e Sonate, la Barcarolle et le Prélude op. 45 de Chopin et abordera le 2e Livre des Préludes de Debussy.

Maurizio Pollini

Récital Chopin Debussy. Maison symphoniqu­e de Montréal, dimanche 15 avril à 14 h 30.

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MATHIAS BOTHOR / DG Soixante ans déjà que Maurizio Pollini fréquente les scènes. Il s’était présenté pour la première fois, en concours, à Genève en 1957, à 15 ans.
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