Le Devoir

Une femme de Valence face aux ravages de l’anxiété

Annie Perreault raconte le destin de trois personnage­s cherchant à échapper à leur culpabilit­é

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

L’anxiété, ses interminab­les insomnies, ses étourdisse­ments impromptus, ses battements cardiaques indomptabl­es, ses souffles courts, cette incessante culpabilit­é qui vous ronge les tripes… Dans La femme de Valence, Annie Perreault explore avec doigté et sensibilit­é les conséquenc­es physiques et psychologi­ques de cet impitoyabl­e mal du siècle.

Avec l’inventivit­é d’un Knut Hamsun décortiqua­nt la faim ou d’un Alfred Hitchcock s’amusant du vertige, elle donne vie aux démons sournois qui empoisonne­nt l’existence de ses personnage­s. À l’aide d’indices inachevés, de mystères irrésolus et de redondance­s émotionnel­les appuyées, elle submerge le lecteur dans une atmosphère étouffante de laquelle, en symbiose avec les héroïnes du récit, il cherchera à s’extirper en tournant résolument les pages vers l’espoir d’une conclusion heureuse.

Claire Halde se prélasse au soleil sur le toit d’un hôtel de Valence, en Espagne, lorsqu’une femme visiblemen­t en détresse, les poignets marbrés de sang, lui demande de surveiller son sac avant d’enjamber la balustrade et de plonger dans le vide.

Dans les pages suivantes se dévoilera toute l’ampleur de cet instant fugace qui bouleverse­ra à jamais l’équilibre de Claire et qui lancera, des années plus tard, sa fille aînée depuis privée de mère sur ses traces.

«Elle pensait à la mort, en proie à des crises d’anxiété à toute heure du jour, s’imaginait mourir d’un cancer dans les trois mois suivants, avait des visions de son corps sous les roues d’une voiture quand elle faisait de la bicyclette, elle craignait les courts-circuits qui feraient flamber la maison pendant la nuit, dans son journal, elle écrivait que c’était sûrement passager, que c’était l’incident de Valence qui s’immisçait dans ses pensées. »

Grâce à un langage précis qui frôle par moments la poésie, la redondance des réflexions autopuniti­ves de Claire, ce martèlemen­t de pensées ressassées inlassable­ment par un esprit martyrisé, renforce l’angoisse suffocante inhérente à l’oeuvre et offre un contraste paradoxal avec la progressio­n des deux protagonis­tes en quête de réponses.

Car ce roman est avant tout celui de deux personnage­s qui refusent l’immobilism­e dans lequel les plonge leur culpabilit­é. «Je sais trop bien que cette course, ce dérisoire effort de courir 42,2km en moins de quatre heures, ne sauvera rien, ne ramènera pas ma mère, n’expliquera pas l’inexplicab­le, et pourtant je cours, je cours parce que, comme ma mère, je suis assoiffée, je ne veux pas m’enliser.»

Avec une maîtrise impeccable du rythme, l’écrivaine suit la trajectoir­e des deux femmes, avançant obstinémen­t vers un inconnu rédempteur. La structure de l’oeuvre, qui divise le parcours de Claire en anecdotes de voyage, et celui de sa fille en kilomètres du marathon de Valence, reflète cette course acharnée.

Son humanisme et sa prose sont d’une incroyable justesse. Annie Perreault offre un premier roman frappant et prometteur, une réflexion intelligen­te et dosée sur les tourments de l’âme humaine qui force l’introspect­ion en abordant les ravages de l’indifféren­ce et la puissance du dévouement.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Son humanisme et sa prose sont d’une incroyable justesse. Annie Perreault offre un premier roman frappant et prometteur.
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La femme de Valence ★★★★ Annie Perreault, Alto, Québec, 2018, 216 pages

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