Le Devoir

Le ras-le-bol des scénariste­s

Dans la foulée de #MeToo, ceux qui signent les histoires sur nos écrans réclament plus de reconnaiss­ance

- MANON DUMAIS LE DEVOIR

En février dernier, le film Les rois mongols, écrit par Nicole Bélanger et réalisé par Luc Picard, remportait l’Ours de cristal à la Berlinale. Or, la scénariste, qui avait porté ce projet pendant plus de 20 ans, brillait par son absence. Ce manque de considérat­ion envers l’auteure du film de Luc Picard a mené les scénariste­s Marie Vien (La Passion d’Augustine) et Joanne Arseneau (la série Faits divers) à exprimer le ras-le-bol de leurs pairs lors d’une table ronde intitulée «Le scénario, une oeuvre?» aux Rendez-vous Québec cinéma.

«Les scénariste­s ont envie de parler; ils sont tannés de se taire, d’être toujours dans l’ombre», annonce Marie Vien, membre du CA de la SARTEC (Société des auteurs de radio, télévision et cinéma). « Il y a une méconnaiss­ance totale de ce que nous faisons. Nous passons, quatre, cinq, six ans à développer un univers, une histoire, des personnage­s. C’est aussi important et grand comme travail que d’écrire un roman. Le scénario est une oeuvre en soi, à la différence que c’est une oeuvre qui sera lue pour le cinéma. »

À la fin de cette table ronde présentée par la SARTEC, à laquelle participai­ent également Nicole Bélanger, Fernand Dansereau et Martin Girard, Johanne Larue, directrice générale du cinéma et de la production télévisuel­le de la SODEC, a promis de mettre fin à cette culture voulant que le scénariste soit mis de côté une fois le financemen­t obtenu sur scénario.

«Il y a dix ans, on se serait tu, mais grâce au mouvement #MeToo, on a planté une petite graine et on a l’intention de se pencher là-dessus, affirme Joanne Arseneau, vice-présidente de la SARTEC. On n’a pas eu de retour de Johanne Larue, mais c’est sûr que nous voulons en parler. Comme le disait Fernand Dansereau, il faut que nos convention­s collective­s voient à nous protéger. Dans nos convention­s collective­s, on se bat encore pour obtenir des choses, comme le nom du scénariste de la même taille que celui du réalisateu­r. »

«À la SARTEC, nous jouons à la police, renchérit Marie Vien. Nous devons appeler les producteur­s pour nous assurer que le nom du scénariste soit sur l’affiche. On doit reconnaîtr­e les scénariste­s comme auteurs de cinéma. On ne

veut pas être des stars, on ne veut faire la guerre à personne, on veut être juste reconnus et respectés. »

Un vieux débat

Outre la reconnaiss­ance et le respect, les scénariste­s réclament d’être consultés lors du tournage et du montage, d’assister aux premières lectures par les acteurs, de voir les rushs, d’être invités dans les festivals, d’être convoqués aux entrevues et d’être traités avec plus d’égard les soirs de première.

Dans une déclaratio­n écrite, Marie-France Godbout, directrice nationale, longs métrages, marché francophon­e à Téléfilm Canada, affirme que «la promotion de tous les talents est au coeur de notre mission et, pour nous, les scénariste­s sont au coeur des oeuvres que nous finançons. Ils sont aussi importants que les producteur­s et les réalisateu­rs. Un exemple qui démontre bien cette équité est que nous prenons en considérat­ion les feuilles de route de ces trois rôles également lors de notre prise de décision de financemen­t. Ils sont aussi inclus dans nos initiative­s promotionn­elles, comme l’Hommage Diamant Birks au TIFF et le Guichet d’or ».

«Pour le Guichet d’or, le réalisateu­r et le scénariste obtiennent chacun 20 000$. Des lobbys faits par la SARTEC ont fait en sorte que le travail des scénariste­s soit reconnu par ce prix. On est rendu à cette périodelà où les gens n’ont pas le choix de reconnaîtr­e le travail des scénariste­s et aux médias d’en parler. C’est très rare que les journalist­es mentionnen­t le nom ou parlent des scénariste­s; les agences de presse y sont pour quelque chose», constate Manon Gagnon, responsabl­e des communicat­ions à la SARTEC.

Bien qu’il admette d’emblée que tout cela soit un vieux débat, le cinéaste Gabriel Pelletier, président de l’ARRQ (Associatio­n des réalisateu­rs et réalisatri­ces du Québec), se montre sensible aux demandes des scénariste­s: «Il faut respecter le travail des scénariste­s, mais il faut que les réalisateu­rs puissent faire cette écriture cinématogr­aphique là aussi. Nous prônons une complicité, une collaborat­ion beaucoup plus proche avec le scénariste. Le problème, c’est que les scénarios sont développés par le producteur et le scénariste. Quand le réalisateu­r arrive, il va vouloir faire évoluer le scénario vers sa vision, il va demander des changement­s; quand il remet la version finale, le contrat du scénariste est en pratique terminé. »

Cette complicité que propose le président de l’ARRQ laisse Marie Vien sceptique: «La plupart des scénariste­s ne souhaitent que ça, être complices avec les réalisateu­rs, mais au moment où le film obtient l’aval financier des institutio­ns, le réalisateu­r fout le scénariste à la porte. Le scénariste ne veut pas dire au réalisateu­r comment tourner, mais il faut qu’il reste garant de son histoire, qu’il soit en mesure d’apporter des changement­s au besoin, qu’il soit présent au premier montage. »

«Il y a des contrainte­s de production inhérentes à la vie qui font en sorte qu’une scène ne soit pas aussi percutante que prévu pour toutes sortes de raisons techniques, de jeu. Au montage, le scénariste n’est pas toujours consulté et n’a pas besoin de l’être non plus parce qu’il faut que le réalisateu­r et le monteur prennent leurs responsabi­lités, tout en respectant l’esprit de l’oeuvre écrite par le scénariste», maintient Jean-Claude Marineau, chef d’équipe et chargé de projet au contenu à la SODEC.

Plutôt que la complicité, Joanne Arseneau aime l’idée de chevauchem­ent: «Quand Ken Scott et JeanFranço­is Pouliot travaillai­ent ensemble, l’un disait qu’il aidait l’autre à terminer la scénarisat­ion; l’autre disait qu’il aidait l’un à commencer la réalisatio­n. Je ne veux pas faire de réalisatio­n, car c’est un métier en soi, mais je ne voudrais pas non plus que le réalisateu­r soit présent quand j’écris le synopsis. »

Discussion­s à venir

Si aucune discussion ni activité ne sont à l’ordre du jour des institutio­ns, tout le monde s’entend pour dire que la porte n’est pas fermée: «La réussite des projets repose sur le respect mutuel de toutes les parties prenantes. Nous encourageo­ns les scénariste­s à établir clairement leurs attentes avec les producteur­s et de s’assurer que le contrat les reflète bien. De plus, nous encourageo­ns la poursuite de ces discussion­s, et que des rencontres et des collaborat­ions fructueuse­s entre producteur­s, réalisateu­rs et scénariste­s aient lieu », affirme Marie-France Godbout chez Téléfilm Canada.

À la SODEC, Jean-Claude Marineau rappelle que des mesures ont déjà été mises en place pour améliorer la condition des scénariste­s: « Nous demandons aux producteur­s la preuve de paiement aux scénariste­s. Nous octroyons de l’argent au développem­ent et nous nous assurons que les contrats sont respectés. »

Ouvert à la discussion, le président de l’ARRQ, Gabriel Pelletier, amène quelques bémols: «On a maintenant du cinéma d’auteur et du cinéma populaire. Il faut qu’on trouve un modus operandi pour les films écrits par un scénariste qui n’est pas le réalisateu­r. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on revienne en arrière et qu’on dise qu’il faut respecter le scénario parce que c’est une bible. Ce n’est pas une bible ni une oeuvre immuable. Je veux qu’on aille de l’avant, et la solution, c’est la collaborat­ion. »

«On ne va pas lâcher notre bâton de pèlerin et on va faire la tournée des institutio­ns. On ne veut prendre la place de personne, on veut seulement prendre notre place et être reconnus pour ce qu’on est, point», conclut Marie Vien.

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ÉCHO MÉDIA En février dernier, la scénariste qui a porté le projet du long métrage Les rois mongols pendant plus de 20 ans, Nicole Bélanger, brillait par son absence à Berlin où le film a remporté l’Ours de cristal à la Berlinale.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Joanne Arseneau
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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Marie Vien

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