Le Devoir

James Comey et des mémoires qui égratignen­t

- FABIEN DEGLISE

Le 9 mai 2017, James Comey est à Los Angeles pour parler de la diversité du recrutemen­t des agents du FBI. L’événement tient de l’ordinaire pour le directeur de cette agence fédérale, qui sillonne régulièrem­ent le pays à la rencontre de son personnel. La présidence américaine de Donald Trump va en faire une journée singulière.

« Sur les télévision­s [branchées sur les chaînes d’informatio­n en continu], le long du mur du fond, je lisais clairement la phrase COMEY DÉMISSIONN­E en grosses lettres», relate-t-il dans Une loyauté à toute épreuve, mémoires de l’ex-patron du FBI, qui revient sur ces années au service du gouverneme­nt américain, et particuliè­rement celle où il a côtoyé de près l’actuel occupant de la MaisonBlan­che. Le livre sera lancé le 17 avril, simultaném­ent en anglais et en français.

«Les écrans se trouvaient derrière mon public, mais ils ont vu que j’étais distrait et se sont retournés. J’ai ri et je leur ai dit: “elle est bien bonne. Quelqu’un a dû passer beaucoup

de temps à préparer cette blague”. »

Et puis, sur trois chaînes, le message sur les écrans a alors changé: «je lisais à présent les mêmes mots : COMEY LICENCIÉ. Je ne riais plus. »

Pour James Comey, qui a été procureur général adjoint des États-Unis à partir de 2003 dans le gouverneme­nt de George W. Bush, puis nommé dix ans plus tard à la tête du FBI par Barack Obama, la fin est abrupte, mais elle n’est pas étonnante.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le patron du FBI, ne cesse en effet de se dire que «ce qui se passe [autour de lui] n’est pas normal». Quelques mois plus tôt, au sortir d’une rencontre à la Trump Tower, avec le magnat des affaires devenu président pour le tenir informé de l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016, Comey en a une première fois la preuve en se retrouvant face à un homme qui n’est préoccupé que par deux choses: se faire dire que cela n’a eu aucun impact sur le résultat du scrutin et trouver la bonne façon de partager cette affirmatio­n avec les Américains.

Trump et son équipe «s’apprêtaien­t à diriger un pays qui avait subi les attaques d’un adversaire étranger, mais ils n’avaient aucune question sur la nature d’une future menace russe, ni sur comment les ÉtatsUnis pouvaient s’y préparer », écrit-il. Plus tard, à son chef de cabinet, Comey dira: «le monde [est] devenu fou et je me retrouve coincé au beau milieu ».

Cosa Nostra

Fou? L’épithète résonne régulièrem­ent dans les bonnes feuilles de ce récit qui, sans apporter de nouvelles révélation­s sur le type de pouvoir et les coulisses des années Trump, dresse une nouvelle fois le portrait inquiétant d’un président américain qualifié par James Comey d’« incendie de forêt» qui «menace une bonne partie de ce qui est bon dans ce pays» et qui «va causer beaucoup de dégâts à court terme» sur les «normes et traditions» des États-Unis.

«Dans l’ensemble, sa façon de gouverner est mercantile, motivée par son ego et ne tourne qu’autour de la notion de loyauté personnell­e», ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler à James Comey les groupes mafieux qu’il a côtoyés de près alors qu’il était jeune procureur fédéral du district de Manhattan dans les années 80 et 90, aux côtés de Rudy Giuliani. «Le Ravenite». «Le Palma Boys». «Le Café Giardino». Cette «mafia italienne [qui] traçait toujours une frontière entre “vos amis”, les gens en dehors du cercle et “nos amis”», écrit-il.

Un souper surréalist­e en tête en tête à la Maison-Blanche auquel Trump l’a convié au début de sa présidence a scellé la perception. C’était le 27 janvier 2017. Trump s’y est réjoui des « privilèges » de la Maison-Blanche en disant quelque chose comme: «C’est un luxe. Et le luxe, ça me connaît », puis a demandé à James Comey de lui témoigner sa loyauté. «À mes yeux, écrit-il, cette requête ressemblai­t à la cérémonie d’intronisat­ion de “Sammy the Bull” à la Cosa Nostra; avec Trump dans le rôle du parrain qui me demandait si j’avais les

atouts nécessaire­s pour devenir un “homme accompli”».

Dimanche matin, sur Twitter, Donald Trump s’en est pris une nouvelle fois à James Comey depuis que plusieurs extraits de son livre ont été divulgués dans les médias. «Je n’ai jamais demandé à Comey de m’être loyal. Je connaissai­s à peine ce type. Juste un autre de ces mensonges. Ces “mémos” sont intéressés et FAUX!» Il a ajouté: «James Comey est sournois, un homme qui finit toujours mal et hors de contrôle (il n’est pas brillant). Il va rester de loin l’un des pires directeurs du FBI de l’histoire ! »

Et pourtant. Lors de ces contacts avec Trump, James Comey aura fait preuve d’une certaine lucidité en notant chaque détail dans des notes non confidenti­elles — de manière à ce qu’elles puissent être rendues plus facilement publiques. «Je ne pouvais pas lui faire confiance concernant nos conversati­ons », écrit-il.

C’est par ces notes que l’on apprend que Trump a, à plusieurs reprises, tenté de faire pression sur James Comey pour que le FBI « lâche l’affaire» russe dans laquelle Mike Flynn, son conseiller à la sécurité nationale, est alors impliqué. Il aurait eu des conversati­ons avec l’ambassade de Russie dans la foulée de l’élection de Trump. Le président parlera de cette enquête comme d’un «nuage» gênant «sa capacité à prendre des décisions au nom de la nation ». Pour le haut fonctionna­ire, Trump a «essayé de faire obstructio­n à la Justice, ce qui est en crime fédéral», rappelle-t-il.

Homme intègre

Dans son livre, James Comey se pose en fonctionna­ire intègre qui a construit sa carrière sur les principes de justice, de vérité et d’honnêteté, souligne-t-il. L’épisode de l’enquête du FBI sur les courriels de Hillary Clinton relancée en pleine campagne électorale, donnant ainsi des munitions à Trump, est d’ailleurs pris comme exemple de cette distance qu’il a toujours commandée entre l’agence et le pouvoir exécutif. Parler pour ne rien dissimuler, et ce, afin d’assurer la bonne marche des institutio­ns. «Je suis convaincu que je n’agirais pas différemme­nt si c’était à refaire », écrit-il.

Une rectitude, une vertu dont il se dit amoureux et qui l’ont fait entrer dans l’histoire en devenant le deuxième directeur du FBI, depuis la création de l’agence, limogé afin la fin de son mandat par le président. Après William Sessions en 1993, sous Bill Clinton. Un dommage de plus causé par l’incendie de forêt Trump face auquel Comey appelle en conclusion de son livre à ne surtout pas rester silencieux ou inerte.

Le jour de son licencieme­nt, relate-t-il, James Comey dit avoir «reçu un appel émouvant du général John Kelly, à l’époque secrétaire à la Sécurité intérieure [et actuel chef de cabinet de la Maison-Blanche]. Il m’a dit qu’il était dégoûté […] et qu’il comptait démissionn­er en signe de protestati­on. […] Je l’ai supplié de ne pas le faire en affirmant que la nation avait besoin de gens de principes comme lui en orbite autour du président, et en particulie­r de ce président-là.»

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MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP L’ex-patron du FBI James Comey dresse le portrait d’un président à l’attitude mafieuse.
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