Le Devoir

L’erreur est humaine

Les Hardings, la création d’Alexia Bürger, est une réussite totale

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

LES HARDINGS

Texte et mise en scène: Alexia Bürger. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 5 mai.

Après avoir été la précieuse complice d’Olivier Choinière, d’Emmanuel Schwartz et de Sophie Cadieux, l’auteure et metteuse en scène Alexia Bürger livre Les Hardings, un premier spectacle bien à elle, un oratorio pour trois voix poignantes, trois comédiens hors pair, trois destins qui s’éclairent mutuelleme­nt, réunis dans ce qu’on oserait appeler le mystère insondable du théâtre.

S’il est une fonction clé du théâtre, une action que seuls les meilleurs spectacles, ceux qui sont pour ainsi dire touchés par la grâce, parviennen­t à accomplir, c’est bien la médiation. Quand la scène sert d’entremise entre les idées et les parties, les termes et les êtres, quand il agit comme intermédia­ire, comme point d’orgue, moins pour arriver à un accord que pour générer des interactio­ns inédites, donner à voir une réalité sous des angles différents, on sait alors qu’on a affaire au travail d’une artiste authentiqu­e, une créatrice dont l’intelligen­ce n’a d’égal que la sensibilit­é.

Dans un véritable coup de génie, Alexia Burger offre la scène à trois hommes réels, trois homonymes, trois Thomas Harding dont on comprendra rapidement qu’ils ont bien plus en commun qu’un prénom et un patronyme. Bruno Marcil est Thomas Harding, le chef de train qui a subi un procès pour négligence criminelle dans la catastroph­e de Lac-Mégantic. Patrice Dubois est Thomas Harding, un écrivain anglais qui a perdu son fils dans un accident de vélo causé par un problème de freins. Martin Drainville est Thomas Harding, un assureur états-unien spécialisé dans les compagnies pétrolière­s.

La partition est une dentelle, une trame de monologues et de dialogues dans laquelle l’auteure entrelace admirablem­ent les destins des trois hommes, leurs doutes et leurs certitudes, leurs fautes et leurs espoirs, mais aussi des idées qui éclairent indubitabl­ement notre époque, des concepts sociologiq­ues, économique­s, scientifiq­ues et philosophi­ques que leurs parcours respectifs, en partie vrais, en partie inventés, permettent de discuter. Dans cette authentiqu­e chambre d’échos, il est question de culpabilit­é, de négligence et de responsabi­lité, de deuil, de dépression et de traumatism­e, en quelque sorte de la valeur d’une vie, au sens propre comme au figuré.

Comme si toute cette adresse dramaturgi­que n’était pas suffisante, la représenta­tion est de surcroît un véritable objet de beauté. Usant judicieuse­ment de la perspectiv­e, des lignes de fuite et de l’inclinaiso­n, la scénograph­ie de Simon Guilbault, magnifique­ment éclairée par Mathieu Roy, entraîne le spectateur dans le ventre d’un train abîmé, là où les voies ferrées se croisent, là où les rails convergent, dans un wagon où trois acteurs au diapason expriment la fatalité et le libre arbitre, la souffrance et la résilience, en somme ce qui fait d’eux des êtres humains.

 ?? VALÉRIE REMISE ?? Trois personnage­s nommés Thomas Harding exposent leur culpabilit­é, leur deuil, leur désarroi.
VALÉRIE REMISE Trois personnage­s nommés Thomas Harding exposent leur culpabilit­é, leur deuil, leur désarroi.

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