Le Devoir

Les députés devront suivre une formation sur le harcèlemen­t

Un comité d’élus veut plus de transparen­ce en la matière

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

Face aux cas de harcèlemen­t et de violences sexuelles, les élus de l’Assemblée nationale sont loin de s’imposer la même reddition de comptes que celle qu’ils exigent des cégeps et des université­s du Québec.

Pour y remédier, un comité formé d’élus de tous les partis dévoilera sous peu la politique «Zéro harcèlemen­t à l’Assemblée nationale», a appris Le Devoir.

Dès le début de la prochaine législatur­e, tous les députés et tous les membres des cabinets et bureaux de circonscri­ption auront l’obligation de suivre une formation sur le harcèlemen­t.

La reprise des travaux, au lendemain de l’élection d’octobre 2018, permettra de lancer un message «très, très fort», promet la députée Maryse Gaudreau, qui préside le groupe de travail chargé d’étudier les questions de harcèlemen­t à l’Assemblée nationale. «Les futurs candidats doivent savoir qu’on ne tolérera pas ce genre de comporteme­nt», a-t-elle confié au Devoir. «Vous savez ce qui s’est passé dans Louis-Hébert», a-t-elle dit au sujet de cette circonscri­ption où deux élus ont dû quitter la course à l’élection partielle en raison d’allégation­s de harcèlemen­t. «On ne veut pas qu’il se passe la même chose. »

La politique « Zéro harcèlemen­t à l’Assemblée nationale » sera plus exigeante

Des comptes à rendre

Depuis l’adoption du projet de loi 151, en novembre 2017, Québec oblige les cégeps et les université­s à rendre compte de l’applicatio­n de leurs politiques respective­s pour prévenir et

combattre les violences à caractère sexuel. Les établissem­ents doivent ainsi faire état du nombre de plaintes qu’ils ont reçues et de la nature des sanctions qu’ils ont appliquées, par exemple.

Or la Politique relative à la prévention et à la gestion des situations de harcèlemen­t, dont se sont dotés les élus en 2015, ne prévoit aucun mécanisme de surveillan­ce de ce genre. L’Assemblée nationale refuse de surcroît de fournir le type de données exigées dans le projet de loi 151.

Elle ne compile donc pas de statistiqu­es sur le nombre de plaintes reçues depuis l’adoption de la politique, pas plus qu’elle ne divulgue de données sur le délai moyen de traitement des plaintes, la nature des sanctions appliquées ou le type d’interventi­ons menées. Ces informatio­ns — qui sont pourtant exigées par la Loi aux cégeps et aux université­s — sont «de nature confidenti­elle» et ne peuvent être divulguées, a écrit la conseillèr­e en communicat­ions de l’Assemblée nationale, Julie Champagne, dans un courriel envoyé au Devoir.

Concilier reddition de comptes et anonymat

Quand elle a présenté le projet de loi 151, la ministre de l’Éducation supérieure et de la Condition féminine, Hélène David, déclarait pourtant que la reddition de comptes exigée de la part des cégeps et des université­s pouvait très bien être conciliée avec «le souci d’anonymat». «On propose que la reddition de comptes soit obligatoir­e, [qu’elle] aille jusqu’au conseil d’administra­tion. Ça ne veut pas dire qu’on donne les noms, les plaintes, etc. Ça veut dire qu’il y a un suivi sur, par exemple, le nombre de plaintes et quelles mesures ont pu être prises», avait-elle dit.

Depuis la mise au jour d’allégation­s d’inconduite sexuelle touchant leur ex-collègue Yves St-Denis, divers élus libéraux se sont rabattus sur les impératifs de confidenti­alité pour contourner les questions sur la gestion des plaintes à son endroit. La whip libérale, Nicole Ménard, a aussi déclaré qu’à son avis, elle «n’avai[t] pas à intervenir auprès de M. St-Denis », puisque la plainte est confidenti­elle.

Mais cette opacité n’aura plus sa place à l’Assemblée nationale, promet Maryse Gaudreau. «À partir de l’année prochaine, dans le rapport annuel de l’Assemblée nationale, nous ferons un rapport de toutes les activités liées à la politique [sur le harcèlemen­t] », a-t-elle révélé. « On fera état des types de formations qui auront été données, de la campagne de sensibilis­ation et [on produira] un rapport de toutes les demandes de renseignem­ents sur les plaintes faites auprès de la personne répondante à l’Assemblée nationale. »

Le processus de reddition de comptes impliquera aussi une classifica­tion des plaintes en fonction de leur nature. Le sexe des plaignants et des intimés sera consigné, de même que le résultat de la plainte. «[On notera] si la plainte a été retirée et s’il y a eu un règlement informel ou une enquête, que ce soit pour des cas résolus ou irrecevabl­es. Il y aura même un tableau sur le résultat des enquêtes, sur les plaintes fondées, non fondées et frivoles. Parce qu’on sait qu’il faut protéger les mis en cause», a expliqué l’élue, fébrile.

Un total de quatre campagnes de sensibilis­ation, pilotées par l’Assemblée nationale, seront déployées au cours de la première année de la politique «Zéro harcèlemen­t». La signature visuelle de la campagne, qui prendra surtout la forme d’affiches, sera dévoilée d’ici le 15 juin.

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