Le Devoir

Laïcité et liberté

- CHRISTIAN RIOUX à Paris

C’est dans la nef du Collège des Bernardins, chef-d’oeuvre de l’art gothique, que le président Emmanuel Macron avait choisi de s’adresser aux catholique­s. Dans un discours évoquant à la fois Simone Weil, Georges Bernanos et Emmanuel Mounier, il a déploré le fait que le lien entre l’Église et l’État s’était «abîmé» et invité les catholique­s à prendre toute leur place dans la vie politique française.

« Ce dialogue est indispensa­ble, a-t-il déclaré, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Église prétendant se désintéres­ser des questions temporelle­s n’irait pas au bout de sa vocation; et qu’un président de la République prétendant se désintéres­ser de l’Église et des catholique­s manquerait à son devoir. »

Depuis une semaine, ce discours de haut vol a été critiqué par certains et encensé par d’autres. Mais au-delà de cette discussion normale, il demeure la démonstrat­ion que face à un État laïque, les religions, et au premier titre celle qui a contribué à façonner la France depuis des siècles, gardent toute leur place dans l’espace public.

On serait même tenté de dire que ce discours est une réponse à tous les faux procès que l’on fait dans le monde anglo-saxon à la laïcité française. En quelques mots, Emmanuel Macron aura répondu à ses détracteur­s, et ils sont nombreux chez nous, qui prétendent que la laïcité exclut les religions de l’espace public. Pour proférer une telle énormité, il faut n’avoir jamais foulé le parvis de Notre-Dame. Des groupes catholique­s aux rassemblem­ents musulmans les plus divers, en passant par la présence forte d’une population juive, les religions ne sont pas moins libres en France qu’ailleurs. Au contraire!

Ces opposants à la laïcité font mine de ne pas comprendre que seuls l’État et l’école, à cause de leur mission spécifique, peuvent se réclamer de la laïcité. S’il n’y a pas de société laïque, l’exclusion des religions de l’État et de l’école reste la meilleure façon de garantir la liberté de conscience de tous. Vous imaginez demain des policiers portant la kippa intervenan­t dans les banlieues françaises? Ou un enfant juif se faisant expliquer la guerre du Kippour par une enseignant­e voilée ? Quelle femme ira solliciter un avortement auprès d’un médecin qui affiche ses conviction­s religieuse­s ?

Cette prétendue liberté qui permettrai­t au fonctionna­ire de brandir son voile ou son turban comme un drapeau n’est pas seulement la recette de la guerre civile. Elle érige la liberté religieuse au-dessus de toutes les autres. Cela est évident au Québec, où l’interdicti­on faite aux fonctionna­ires d’afficher leurs conviction­s politiques, mais pas religieuse­s, adresse à la population un message clair: les religions ont préséance sur toutes les autres conviction­s politiques ou philosophi­ques. Les cours d’éthique et de culture religieuse consacrent d’ailleurs ce statut particulie­r des religions en réduisant la liberté de conscience à la seule liberté religieuse.

Personne n’a défendu ce statut de manière plus conséquent­e que le philosophe communauta­rien Charles Taylor, qui rêve à sa façon de «réenchante­r» le monde. C’est pourquoi il a soutenu les tribunaux islamiques en Ontario. C’est cette même vision d’un monde centré sur des communauté­s ethniques ou religieuse­s qui l’amène à critiquer les nationalis­tes québécois chaque fois que ceux-ci tentent de sortir de la « communauté » pour s’ériger en nation.

Voilà qui explique la laïcité bancale formulée il y a dix ans par la commission Bouchard Taylor. Comment s’étonner que, quelques années plus tard, Charles Taylor renie les rares mesures laïques que contenait le rapport? L’imposture est aujourd’hui si évidente que l’on peut se demander si son alter ego, Gérard Bouchard, n’aura pas été au fond la caution souveraini­ste de cet exercice. Le «Canadien français de ser vice », comme on disait à l’époque.

Dans son discours des Bernardins, Emmanuel Macron a affirmé que si son rôle était de garantir à chacun «la liberté absolue de croire comme de ne pas croire», il était en retour justifié d’exiger des religions le respect absolu et sans compromis de «toutes les lois de la République.»

On ne s’étonnera pas que l’islam, qui ignore la laïcité partout où il est majoritair­e dans le monde, pose à nos pays des problèmes nouveaux. Récemment, une étude réalisée auprès de 7000 jeunes des banlieues françaises (La tentation radicale, PUF) révélait que 35 % des jeunes musulmans considérai­ent leur religion comme la «seule vraie» (contre 10% des chrétiens). En Belgique, une étude semblable a montré que 29 % des musulmans estimaient que la loi religieuse devait avoir préséance sur les lois du pays.

Pour le dire avec les mots des catholique­s, on pourrait affirmer qu’en acceptant la laïcité, les religions acceptent de descendre dans l’arène des idées en abandonnan­t tout privilège, comme Jésus a accepté de partager la souffrance des hommes. Quitte à devoir affronter le blasphème. Pas de statut particulie­r, pas de privilège ni à l’égard des autres religions ni à l’égard des athées ou des agnostique­s. Contrairem­ent à ce que l’on dit, la laïcité est le symbole d’une liberté nouvelle, même pour les croyants.

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