Le Devoir

Fidèle successeur

- GUY TAILLEFER

Les Cubains ont un nouveau président en la personne de Miguel Diaz-Canel, placé là dans l’obéissante continuité des frères Castro. Voilà ce que l’on sait. Tout le reste n’est que conjecture­s.

Élu jeudi chef de l’État cubain avec 99,83% des suffrages par les élus de l’Assemblée nationale cubaine, Miguel Diaz-Canel a promis en termes convenus de «poursuivre la révolution­dans un moment historique crucial». Une position tout à l’image de cet apparatchi­k modèle qui a passé les 30 dernières années à gravir un à un les échelons du pouvoir, sans faire de vagues.

Qu’imaginait-on l’entendre dire d’autre, de toute façon? Quand il entre au Politburo en 2003, Raúl Castro vante «sa grande solidité idéologiqu­e». Le «jeune» homme qui célèbre vendredi son 58e anniversai­re de naissance aura su éviter le sort d’autres étoiles montantes, comme Roberto Robaina, tombé en disgrâce sous Fidel qui l’a expulsé du parti en 2002, ou comme le vice-président Carlos Lage et le ministre des Affaires étrangères Felipe Pérez Roque, brutalemen­t limogés par Raúl en 2009 pour avoir laissé poindre leurs ambitions et leur impatience.

Si bien qu’à moins de faire un Gorbatchev de lui-même, ce qui est toujours possible encore que plus ou moins souhaitabl­e (qui a envie de voir Cuba devenir la Russie?), voici un homme qu’on voit difficilem­ent mordre la main d’une gérontocra­tie qui a été fort utile à son ascension politique. Le commun des Cubains ne le sait que trop bien, qui est loin de s’exciter pour un changement de garde qui fait par ailleurs les grands titres dans les médias étrangers.

«Moment historique crucial», a déclaré M. Diaz-Canel. Il ne peut pas, pourtant, ne pas savoir que la «révolution» est dans l’impasse, qu’il lui faudra inévitable­ment ouvrir des brèches, si ce n’est par impérative nécessité économique, et qu’il ne peut pas se contenter de jouer le rôle d’homme lige.

Les réformes introduite­s sous le frère Raúl ont été trop timides pour relancer une économie dysfonctio­nnelle qui est aujourd’hui dans un état désastreux et qui peut de moins en moins compter sur le Venezuela, aux prises avec une grave crise politique. Le système de double monnaie crée des distorsion­s épouvantab­les. L’économie nationale est surdépenda­nte des flux monétaires provenant de l’étranger — l’argent du tourisme et de la diaspora. Le seul secteur qui ait connu un certain dynamisme depuis dix ans est celui des micro-entreprene­urs, mais il est loin d’être porteur d’un développem­ent intérieur d’envergure. Autant d’enjeux avec lesquels la «génération historique» a jonglé ses dernières années sans trouver le courage de procéder aux transforma­tions structurel­les qui s’imposent.

Les Cubains n’attendent rien de ce nouveau président en matière d’élargissem­ent des libertés politiques. L’émergente société civile n’en continuera pas moins d’émerger. Mais ils attendent de lui qu’au bas mot, il libéralise au plus vite l’économie, facilite le développem­ent des PME, desserre l’étau de l’État.

Président de l’après-Castro, la question est de savoir dans quelle mesure il prend acte de l’ampleur du défi. Difficile à dire, comme l’homme est aussi discret que le système politique cubain est opaque. Les Cubains méritent une transition qui ne soit pas que génération­nelle.

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