Le Devoir

Faire place à la défense des droits en campagne électorale

- CHRISTIAN NADEAU Président de la Ligue des droits et libertés. L’auteur est également professeur titulaire au Départemen­t de philosophi­e de l’Université de Montréal.

En raison des élections de l’automne, nous assistons depuis un certain temps à un spectacle à grand déploiemen­t où les partis politiques n’hésitent pas à recourir à toutes les méthodes possibles pour susciter l’adhésion. Les projecteur­s illuminent tantôt une vedette tantôt une formule-choc, reléguant dans l’ombre le débat d’idées. Pourtant, nous avons besoin plus que jamais d’une informatio­n de qualité et d’un dialogue public de haut niveau. Une élection, quoi qu’on en pense, est un événement trop lourd de conséquenc­es pour le laisser entre les mains des politicien­s. Ils n’ont pas, fort heureuseme­nt pour le Québec, le monopole du débat politique.

La foire d’empoigne des partis n’est pas la seule cause de dérapages en période électorale. En quête d’auditoire, la majorité des médias ont tendance à traiter la politique comme une simple joute sportive. Cela se traduit par des chroniques déclamatoi­res où on maquille dans la presse la futilité de propos simplistes à coups de caractères gras et de points d’exclamatio­n, ou en éructant sur les ondes des monologues dont la valeur se mesure surtout en décibels, au détriment des opinions nuancées et des enquêtes de longue haleine. Les médias dits sociaux, capables du meilleur comme du pire, contribuen­t largement à ce penchant. La peur et le repli mobilisent davantage que l’intelligen­ce et le courage de l’ouverture. Le contre-discours face au discours populiste manque de moyens et ne suscite guère l’enthousias­me, étant par essence étranger au goût du spectacle. Mais là encore, il ne faut pas en déduire l’impossibil­ité structurel­le d’une réflexion commune sérieuse.

Malgré tous les obstacles, les organismes d’action communauta­ire autonomes et les groupes de défense collective des droits reviennent sans cesse à la charge pour rappeler à notre société les principaux enjeux qui devraient la préoccuper. Depuis des années, ils mesurent et documenten­t l’impact désastreux des longues périodes d’austérité, où la prétendue rigueur budgétaire a bénéficié aux plus riches et écrasé les plus pauvres. Dénigrer ou faire peu de cas du savoir immense de centaines de militantes et militantes, dont plusieurs travaillen­t pour l’action communauta­ire depuis plus de trente ans, sans parler d’organisati­ons dont l’histoire traverse celle du Québec, a pour effet ni plus ni moins que d’empêcher l’intelligen­ce de l’espace public. Ces personnes et ces groupes nous rappellent sans relâche l’importance fondamenta­le du respect de chaque personne, quelle qu’elle soit, sur le plan de la protection sociale et des libertés civiles. Leur tâche cruciale au cours des prochaines semaines ne sera pas d’influencer le vote, mais de reconduire les droits de la personne au premier plan de nos préoccupat­ions.

Sauver la justice sociale et la solidarité

Il serait trop commode de se borner à la critique des personnali­tés politiques ou médiatique­s. Ce serait surtout contraire aux efforts fournis depuis des dizaines d’années par des centaines de militantes et de militantes, de plus de trois cents organisati­ons un peu partout dans la province, qui agissent de façon concrète pour sauver la justice sociale et la solidarité. Si la tâche est immense, ils nous rappellent sans cesse que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe du découragem­ent. Il faut accroître la protection sociale pour garantir une vie décente aux personnes appauvries, augmenter considérab­lement les investisse­ments pour le logement social, assurer l’accès à la justice et prévoir les services adaptés aux besoins des groupes vulnérable­s. Il est urgent de bonifier le réseau des garderies publiques, d’améliorer les conditions d’enseigneme­nt au sein des écoles primaires et secondaire­s et de favoriser l’intégratio­n aux études supérieure­s. On ne dira jamais assez l’importance de s’opposer à toute forme de discrimina­tion sexuelle, de poursuivre la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, de combattre le racisme et d’exprimer par des gestes concrets notre appui aux revendicat­ions des peuples autochtone­s. Tout cela n’aurait pas de sens si nous devions privilégie­r les milieux urbains au détriment des régions éloignées ou abandonner l’environnem­ent à l’appétit des promoteurs de projets qui sabotent l’avenir de génération­s entières. Toutes ces revendicat­ions n’ont rien d’utopique: elles s’imposent comme nécessaire­s dès lors qu’on prête attention aux souffrance­s dont sont témoins les groupes de défense des droits.

Soyons clairs. Il serait vain de s’en prendre à ceux et celles qui adhèrent aux discours populistes sans tenir compte des difficulté­s d’accès à l’informatio­n, des lacunes de notre système d’éducation et des conditions de vie et de travail difficiles qui laissent peu de temps pour se préoccuper de politique. Et l’idéologie du repli sur soi et des intérêts égoïstes trouve aussi sa source dans l’insécurité face à un monde complexe où les solutions simples s’avèrent le plus souvent fallacieus­es. Voilà pourquoi penser notre avenir social et politique au Québec commence par placer très haut la barre de nos exigences lors de nos discussion­s. Voilà pourquoi il faut saluer et encourager le travail colossal des organismes de défense collective des droits, qui oeuvrent sans relâche à l’analyse des faits, à la reconnaiss­ance des injustices et à la promotion d’une société égalitaire.

La peur et le repli mobilisent davantage que l’intelligen­ce et le courage de l’ouverture

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