Le Devoir

La démolition du Centre Jean-Marie-Roy, une simple logique comptable ?

La démolition d’un édifice patrimonia­l est un acte définitif, qui ne permet aucun retour en arrière

- ÉMILIE VÉZINA-DORÉ Directrice générale, Action patrimoine

On veut rappeler ici l’importance du patrimoine moderne, rappeler aussi le legs de l’architecte de renom Jean-Marie Roy, notamment son campus Notre-Dame-de-Foy, classé site patrimonia­l, ainsi que l’intérêt du Centre Jean-Marie-Roy à Saint-Augustin-deDesmaure­s, et plus encore. Le cas de ce dernier nous renvoie, une fois de plus, à l’importance du rôle des municipali­tés par rapport au patrimoine.

À la lecture de la nouvelle annonçant la démolition du Centre, on peut se demander si nous sommes voués à une simple logique comptable. Tout, dans ce dossier, témoigne du travail qui reste à accomplir afin que les municipali­tés puissent porter cette responsabi­lité culturelle et sociale quant à la sauvegarde de leur patrimoine sur leur territoire au lieu de contribuer à sa destructio­n. Car, en effet, malgré la lettre d’Action patrimoine et de Docomomo Québec envoyée à la municipali­té, le texte de Martin Dubois paru dans Contact, le magazine de l’Université Laval, l’article de Jean-François Nadeau (le 17 mars) et la lettre ouverte de la famille Roy parue dans Le Devoir (le 22 mars), on pouvait lire récemment dans Le Journal de Québec que le Centre Jean-Marie-Roy, situé à Saint-Augustin-de-Desmaures, sera fermé en juin et bel et bien démoli d’ici l’automne.

Il est évident que l’on ne peut pas mettre une cloche de verre sur tout ce qui est potentiell­ement d’intérêt patrimonia­l. Là n’est pas la question. Cependant, lorsque la seule et unique raison invoquée par la municipali­té, pour justifier la démolition d’un bâtiment d’intérêt, consiste à avancer la rigueur budgétaire, cela paraît un peu court. Cet argument pourrait même compromett­re l’avenir de plusieurs édifices remarquabl­es. Il ne faut pas perdre de vue que les choix associés à l’aménagemen­t du territoire marqueront celui-ci pendant de nombreuses décennies. La démolition d’un édifice patrimonia­l est un acte définitif, qui ne permet aucun retour en arrière. D’où l’importance d’un choix éclairé lors d’une telle prise de décision.

Décision rationnell­e ?

«Quand on arrive devant un presbytère, une église, je peux comprendre. Mais là, je ne suis pas impression­né: ça a l’air d’une livre de beurre de l’extérieur», mentionnai­t le maire Juneau à propos du Centre Jean-Marie-Roy. Il est très inquiétant de voir un élu exprimer son appréciati­on personnell­e lorsque vient le moment d’évaluer un édifice. Il serait plutôt nécessaire de commander une étude patrimonia­le en bonne et due forme. Selon cette même logique, si tous les maires devaient être «impression­nés» pour qu’un édifice soit reconnu patrimonia­l et sauvegardé, bon nombre d’édifices patrimonia­ux seraient compromis.

La Ville prévoit de financer son projet de remplaceme­nt à 50% grâce au programme de soutien aux installati­ons sportives et récréative­s du ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur. N’est-il pas paradoxal qu’un programme gouverneme­ntal de subvention­s destiné à aider les municipali­tés à se doter d’infrastruc­tures incite à la démolition d’un édifice existant et, qui plus est, d’intérêt plutôt que d’encourager sa rénovation et son entretien ?

Et si, pour de multiples raisons, une démolition s’avérait la meilleure option, il est fortement recommandé qu’elle ne soit pas réalisée tant que le projet de remplaceme­nt n’a pas été planifié. D’une certaine façon, cette nouvelle propositio­n architectu­rale devrait compenser le bien perdu par sa qualité et son innovation. Nous sommes bien loin de ces conditions dans le cas présent; le maire a affirmé d’emblée que le projet de remplaceme­nt «ne durera pas 100 ans». Aux dernières nouvelles, le Centre Jean-Marie-Roy sera démoli bien avant que les détails du projet de remplaceme­nt soient dévoilés au grand jour.

À quelques semaines du dévoilemen­t de la politique culturelle du Québec, on espère qu’une place importante sera accordée au patrimoine bâti. Est-ce qu’elle incitera enfin les municipali­tés du Québec à être proactives dans la mise en valeur de leur patrimoine, notamment par un plan d’action solide et des enveloppes budgétaire­s significat­ives ? Est-ce que les municipali­tés seront bel et bien reconnues comme des acteurs incontourn­ables quant à la sauvegarde du patrimoine bâti, tout comme les organismes qui travaillen­t sans relâche à leur préser vation et leur mise en valeur ?

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Aux dernières nouvelles, le Centre Jean-Marie-Roy sera démoli bien avant que les détails du projet de remplaceme­nt soient dévoilés au grand jour.

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