Le Devoir

Des punks toujours sympathiqu­es pour le Record Store Day

Pour le Record Store Day, le groupe Les Marmottes aplaties relance sa discograph­ie complète en vinyle

- PHILIPPE PAPINEAU

É«On faisait ça pour le fun. Et au début, on se faisait tellement dire qu’on n’était pas bons et que c’était n’importe quoi, qu’on a pris cette avenue-là et » on l’a poussée à fond Bruno Lamoureux, guitariste des Marmottes aplaties

crasé officielle­ment sur le bord de l’autoroute du show-business en 2004, le groupe punk-rock québécois Les Marmottes aplaties semble avoir un faible pour la résurrecti­on. Après être remontés sur scène en 2012 aux FrancoFoli­es, les colorés et décalés musiciens profitent du Record Store Day pour raviver une nouvelle fois les souvenirs fébriles d’adolescent­s devenus grisonnant­s en rééditant leurs trois albums en format vinyle.

Cette renaissanc­e s’est entamée sur Facebook, où le guitariste Bruno Lamoureux, frappé «d’une bulle au cerveau», a publié sur la page du groupe un statut où il allait à la pêche. « Juste de même : est-ce que quelqu’un qui possède un label serait game de faire un reissue des disques des Marmottes?» disait la note, qui citait ensuite une série de maisons de disques.

«C’était pensé spontanéme­nt, ce n’était pas prémédité», assure Lamoureux, graphiste de son métier actuel. «Et une couple de jours plus tard, Eli Bissonnett­e, de Dare to Care, nous a contactés pour nous dire qu’il voulait le faire! J’étais content. »

Au-delà de leur nom absurde, Les Marmottes aplaties ont représenté — et semblent représente­r encore pour leurs fans d’antan — une zone de liberté et de défoulemen­t positif, pleine d’ironie trempée dans une agressivit­é quasi cinématogr­aphique. Le groupe, formé initialeme­nt de Bruno Lamoureux, Martin Lussier et Dany Beauregard, a lancé trois disques: le juvénile 1001 chansons pour agrémenter vos repas (1996), le mieux foutu Épisode sanglant (1999) et le bien ficelé Décadents (2002).

« Il y a une magie qui reste de ce groupe-là, de cette époquelà», témoigne Félix B. Desfossés, journalist­e spécialisé en histoire de la musique. «C’est peut-être une espèce de naïveté baveuse, c’est drôle à dire comme ça, mais c’est comme si avec les Marmottes on pouvait rire de tout sans que ce soit vraiment méchant. C’était tellement sympathiqu­e. »

Patrice Caron, vétéran de la scène musicale québécoise alternativ­e, se souvient d’avoir écouté la première cassette — oui, oui — du groupe à la radio communauta­ire montréalai­se CIBL, où il avait une émission consacrée à la musique undergroun­d. Il se souvient que Les Marmottes aplaties détonnaien­t dans le punk de l’époque. « Parce qu’ils n’étaient pas politiques pour deux cennes, ça faisait changement un peu », dit celui qui est responsabl­e du GAMIQ et de la plateforme Papineau. «À l’époque, c’était beaucoup de la musique le poing levé, un peu fâchée, et eux sont arrivés avec une autre attitude. »

Bruno Lamoureux explique qu’il écoutait beaucoup de ces groupes engagés, et que s’il avait lui-même ses opinions, il ne se trouvait pas crédible pour revendique­r. «Aussi, on faisait ça pour le fun. Et au début, on se faisait tellement dire qu’on n’était pas bons et que c’était n’importe quoi, qu’on a pris cette avenue-là et on l’a poussée à fond», raconte Lamoureux.

Le musicien se rappelle une entrevue avec le journalist­e Patrick Marsolais à Musique Plus, qui leur avait dit que c’était la première fois qu’il rencontrai­t un band qui disait lui-même qu’il était poche. «Il ne savait pas comment dealer avec ça. Il trouvait ça drôle, mais ça le déstabilis­ait. Pour nous, ça faisait juste alimenter toute la patente, c’était drôle. »

Dénominate­ur commun

Après des débuts plutôt confidenti­els, Les Marmottes aplaties ont laissé des traces indélébile­s dans plusieurs coeurs avec des titres forts comme Détruire, Bagnole, Boîte à lunch, Gagner et Caroline. «Quand je suis DJ, je fais encore jouer Gagner, c’est une de leurs meilleures chansons», ajoute Patrice Caron. Musique Plus a aussi aidé à faire connaître le groupe, en diffusant abondammen­t le clip de Détruire.

«Les Marmottes aplaties, ç’a été une espèce de dénominate­ur commun dans la jeunesse de bien du monde au Québec», croit Félix B. Desfossés, auteur du livre L’évolution du métal québécois, qui se souvient d’avoir vu le groupe en spectacle. « Oui, aujourd’hui, il y a de la nostalgie là-dedans, mais il faut aussi se rendre compte à quel point ç’a été des pionniers importants, finalement, dans notre industrie musicale, au même titre que Caféine, Les Secrétaire­s volantes et autres WD-40. »

Pour Desfossés, le groupe a d’ailleurs ouvert la voie aux Trois accords et à leur rock positif et humoristiq­ue. « Bagnole, quant à moi, c’est du Trois Accords quelques années avant le temps. Et quand Les Trois Accords sont arrivés, l’industrie était davantage prête à accueillir un groupe comme ça. »

Rééditions et numérique

Les trois disques des Marmottes ont donc été pressés en format vinyle, à 500 copies chacun, et seront disponible­s dès samedi dans quelques disquaires indépendan­ts. Un quatrième album numérique, intitulé Difficulté­s techniques, est aussi lancé. Il comprend de vieux morceaux inédits, des pistes live et des titres de démos rares, le tout accompagné d’un fanzine.

En 2004, quand le groupe a cessé ses activités en raison d’un conflit d’affaires avec sa maison de disque, les membres des Marmottes ont pu racheter les droits de l’ensemble de leurs chansons, ce qui permet aujourd’hui ces rééditions.

Depuis quelque temps, les disques étaient disponible­s sur la plateforme numérique Bandcamp, mais la diffusion s’arrêtait là. «C’était pas dans la grosse machine de Apple, Spotify, Deezer, et tout ça, résume Bruno Lamoureux. Donc, là, tout est accessible dans ce réseau-là, et c’est super. C’est plate d’avoir un projet musical, artistique, et qu’à un moment donné ça disparaît complèteme­nt de la carte.»

Et avec l’équipe de Dare to Care, Les Marmottes aplaties profiteron­t aussi d’un travail pour l’édition, histoire, pourquoi pas, de placer une chanson dans une publicité ou un film. D’ailleurs, le court métrage Mutants, d’Alexandre Dostie, qui utilise la pièce Détruire, a été primé l’année dernière au gala des prix Écrans canadiens.

«C’est flatteur, 15 ans plus tard, de voir un réalisateu­r undergroun­d qui veut utiliser ta musique, dit Bruno Lamoureux. Avec le recul, on se rend compte qu’il n’y a pas eu beaucoup d’autres groupes qui ressemblai­ent aux Marmottes, et qu’on fait partie du paysage musical alternatif québécois.»

Après des débuts plutôt confidenti­els, Les Marmottes aplaties ont laissé des traces indélébile­s dans plusieurs coeurs

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LES MARMOTTES APLATIES
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ROXANE ARSENAULT Au-delà de leur nom absurde, Les Marmottes aplaties ont représenté — et semblent représente­r encore pour leurs fans d’antan — une zone de liberté et de défoulemen­t positif, pleine d’ironie trempée dans une agressivit­é quasi cinématogr­aphique.
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PATRICK BERNIER

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