Le Devoir

À qui appartient Impulsion ?

Un litige oppose le Partenaria­t du Quartier des spectacles à un créateur

- ANDRÉANNE CHEVALIER

Une des firmes cocréatric­es d’Impulsion, l’oeuvre emblème de l’événement Luminothér­apie, peut-elle reprendre le concept de son oeuvre et le faire voyager de son propre chef? La question est au coeur d’un litige opposant le Partenaria­t du Quartier des spectacles (PDQS) à CS Design.

Constituée de bascules lumineuses et sonores et accompagné­e de vidéoproje­ctions, Impulsion a été présentée originalem­ent sur la place des Festivals de Montréal dans le cadre de la sixième édition de Luminothér­apie, en 2015-2016. Elle y a été redéployée cet hiver. Elle avait été créée, avec Lateral Office, dans le cadre d’un concours annuel, mené par le PDQS.

Par l’entremise de L4 Studio, CS Design a présenté récemment — sans le Partenaria­t, mais avec l’accord de Lateral Office — des agencement­s de bascules lumineuses et sonores à Londres (en janvier 2018) et à Aberdeen (en février 2018), entre autres.

Le PDQS allègue qu’il possède les droits exclusifs sur l’oeuvre et que CS Design ne peut l’exploiter de façon indépendan­te. Le Partenaria­t a ainsi déposé le 15 février dernier une demande d’injonction interlocut­oire et permanente contre la firme, demandant au tribunal d’interdire à CS Design de commercial­iser ou de diffuser une «oeuvre comportant un assortimen­t de bascules lumineuses identiques à celles acquises par le Partenaria­t aux termes du contrat […] ou encore d’une facture visuelle essentiell­ement similaire […]».

Impulsion avait déjà été diffusée par le PDQS hors de Montréal avec son mandataire, la compagnie CREOS, notamment à Scottsdale (Arizona) et à Bruxelles. Aux dires de Pascale Daigle, directrice de la programmat­ion du Partenaria­t, cette oeuvre est «de loin la plus populaire» de son portfolio. Le PDQS «retire certains revenus de la location des oeuvres faisant partie de son portfolio», a-t-elle ajouté dans une déclaratio­n assermenté­e accompagna­nt le dossier consulté par Le Devoir.

Pour CS Design, les agencement­s de bascules proposés à l’étranger ne correspond­ent pas à la définition de l’oeuvre telle que décrite au contrat. «Chaque nouvelle exposition est une oeuvre d’art distincte», soutient son président, Conor Sampson, dans une déclaratio­n assermenté­e.

De plus, M. Sampson cite une clause du contrat qui stipule que la firme, pendant une période de trois ans après la signature du contrat, «ne travailler­a pas […] à une oeuvre ou un projet devant être présenté sur le territoire du Québec ou de l’Ontario, et dont la nature est inspirée ou substantie­llement identique ».

Cette limitation territoria­le a été changée à «quelque endroit que ce soit dans le monde » dans la nouvelle convention de commande d’oeuvre proposée par le PDQS pour l’appel de propositio­n de Luminothér­apie 20192020, dont le processus est en cours. Ce nouvel appel mentionne aussi que l’oeuvre proposée doit «être adaptable à une superficie moindre en vue de l’exportatio­n».

Des oeuvres en série

Il n’est pas inhabituel pour un artiste de reprendre un concept pour créer des oeuvres d’art distinctes. Un concept peut même devenir une «signature» pour un créateur. Qu’on pense aux chaises de Michel Goulet, qu’on peut voir dans deux oeuvres différente­s sur le Plateau-MontRoyal ou qui peuvent être croisées en France, notamment. À l’internatio­nal, la sculpture Love, de Robert Indiana, connaît de nombreuses déclinaiso­ns dans plusieurs villes, dont des versions en espagnol et en hébreu.

Le litige entre le PDQS et CS Design est de nature contractue­lle, mais une question de fond se dessine. Est-ce qu’un contrat d’acquisitio­n d’une oeuvre spécifique peut contraindr­e un artiste à ne plus créer d’oeuvres similaires à celle-ci ou à ne plus reproduire sa « signature » ?

Dans un avis juridique accompagna­nt la cause, Me Normand Tamaro, spécialist­e du droit d’auteur, déclare que «l’objet du contrat, c’est une oeuvre […] composée de 30 bascules lumineuses et sonores présentées sur la place des Festivals avec une trame sonore et des “vidéoproje­ctions” […]» et que «les huit bascules présentées à Londres n’ont rien à voir avec le concept sur lequel repose [Impulsion ] ».

Conor Sampson a déclaré au Devoir qu’il est « décevant que le Quartier des spectacles décide de gaspiller des fonds publics dans cette poursuite alors que nous sommes tout à fait disposés à négocier une solution». Son avocat n’a pas voulu commenter davantage.

Marie Lamoureux, conseillèr­e en relations publiques du PDQS, a indiqué au Devoir que celui-ci n’émettra aucun commentair­e, considéran­t qu’aucun jugement n’a été rendu pour le moment.

Le PDQS est un organisme à but non lucratif, dont la mission est de contribuer «au développem­ent et à la mise en valeur culturels du Quartier des spectacles».

Il n’est pas inhabituel pour un artiste de reprendre un concept pour créer des oeuvres d’art distinctes

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Impulsion est l’oeuvre emblème de l’événement Luminothér­apie, présenté en hiver sur la place des Festivals, à Montréal.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Impulsion est l’oeuvre emblème de l’événement Luminothér­apie, présenté en hiver sur la place des Festivals, à Montréal.

Newspapers in French

Newspapers from Canada