Le Devoir

Perspectiv­es › La planète plastique.

La consommati­on menace l’ensemble des espèces vivantes. Notre dossier du week-end.

- ISABELLE PARÉ

Omniprésen­t de la calotte polaire aux abysses des océans, le plastique est devenu un fléau planétaire. Plus qu’un désastre environnem­ental, il a même intégré la chaîne alimentair­e, du zooplancto­n aux plus grands mammifères. Après l’âge de pierre et l’âge du fer, voici venu l’âge du plastique.

Il est désormais partout. Dans l’eau, l’air, dans nos maisons, nos vêtements. Présent dans presque tous les objets du quotidien, il enveloppe la plupart des aliments. Il a même migré dans nos assiettes et l’eau potable. Au point où certains scientifiq­ues comparent désormais la menace posée par l’invasion du plastique à la survie des espèces vivantes y compris l’homme, à celle du réchauffem­ent climatique.

En moins de 60 ans, le plastique est devenu le matériau le plus omniprésen­t dans l’environnem­ent et on commence tout juste à mesurer ses effets sur la santé humaine et animale. Or, l’engouement pour ce matériau passe-partout et «indestruct­ible» a multiplié par 20 la quantité de plastique produit en quelques décennies. Si cette croissance se poursuit, l’industrie plastique, dopée notamment par la demande venant des pays émergents, est appelée à doubler d’ici 20 ans et à quadrupler d’ici 2050.

Si rien n’est fait, c’est plus de 12 milliards de tonnes de déchets de plastique qui pourraient souiller la planète au milieu de ce siècle, prédit Roland Geyer, chercheur et ingénieur de l’Université de Californie, auteur principal de la plus vaste étude menée sur l’emprise du plastique sur la planète, publiée en 2017 dans la prestigieu­se revue Science.

«Le plastique est devenu le matériau de fabricatio­n le plus “produit” par l’homme, hormis ceux utilisés depuis des siècles dans la constructi­on comme le béton ou l’acier», affirme le chercheur, joint en Californie par Le Devoir. Réalisé à partir de données confidenti­elles obtenues des producteur­s de plastique mondiaux, ce portrait mondial est le plus fiable tracé à ce jour… et le plus consternan­t.

Somme toute, plus de huit milliards de tonnes de plastique et de sous-produits du plastique ont été générées depuis les années 1950, assez pour recouvrir la superficie de l’Argentine.

Consommé et jeté

Or, de cette mer de polymères, contenant plastifian­ts et additifs souvent toxiques, à peine 9% en moyenne ont été recyclés à l’échelle de la planète, alors que 12 % ont été incinérés, a calculé le professeur Geyer. Seule une poignée de pays européens sont arrivés à recycler tout au plus le tiers du plastique.

Le reste, soit 79% de cette masse non biodégrada­ble, repose dans les dépotoirs ou s’est échappé dans l’environnem­ent, dans les lacs, rivières et océans, et va notamment grossir les fameux «continents de plastique» devenus la partie la plus visible de cette plaie planétaire. Un bilan d’autant plus alarmant que 42% de ces plastiques balancés dans la nature n’ont servi qu’à l’emballage ou à un usage unique. Pour Geyer, le recyclage demeure un mirage réconforta­nt dans plusieurs pays du monde, y compris le Québec, où 18% du plastique utilisé atterrit dans le bac de recyclage. On ignore quelle part est réellement recyclée. «Ça ne peut être qu’une partie de la solution et plusieurs plastiques sont trop pauvres pour être recyclés. Il faudra beaucoup plus juguler ce problème mondial, notamment réduire de façon drastique la consommati­on, et incinérer le reste», insiste le chercheur.

Jusqu’à tout récemment, une grande part du gâchis global causé par le plastique demeurait invisible. «On ne voyait que les plastiques flottant dans l’océan ou qui jonchent les plages. Or, plusieurs autres coulent à pic ou se fragmenten­t en millions de particules dans l’environnem­ent», affirme Roland Geyer.

C’est maintenant la face cachée de ce paria, soit les trillions de microparti­cules et de microfibre­s invisibles, issues de la dégradatio­n des polymères dans l’eau et l’air qui suscitent de plus en plus d’inquiétude­s. Plus qu’un déchet hideux, le plastique est devenu un cheval de Troie, capable de s’immiscer ni vu ni connu dans tous les écosystème­s et l’eau potable, charriant avec lui des plastifian­ts dangereux, comme les phtalates, et des additifs figurant sur la liste noire des perturbate­urs endocrinie­ns et des cancérigèn­es potentiels. Ces particules fines transforme­nt les eaux douces et salées en « soupes chimiques ».

Cheval de Troie

Les premières images de zooplancto­ns ingérant des nanopartic­ules de plastique ont confirmé que ce poison a infiltré les tout premiers maillons de la chaîne alimentair­e, essentiels à la vie sur Terre. On estime maintenant que les humains consommant des mollusques peuvent ingérer jusqu’à 11 000 particules, mais l’on ignore complèteme­nt quels seront les effets de ce menu à saveur plastique sur l’être humain.

Cette incursion du plastique va bien au-delà des océans, comme le démontrait une étude récente révélant que l’eau embouteill­ée testée dans cinq continents affichait en moyenne 315 microparti­cules de plastique, certaines jusqu’à 10 000. «Nous vivons désormais dans un monde dominé par le plastique, à un point où nous aurions du mal à vivre autrement. Cela se produit, alors que l’industrie n’a toujours aucune obligation d’en tester les effets sur la santé. Ce fardeau retombe sur les épaules des

«

L’industrie n’a toujours aucune obligation de tester santé» les effets du plastique sur la

L’expert en toxicologi­e Bernard Robaire, de l’Université McGill

gouverneme­nts ou des université­s, qui ont peu de fonds pour ce faire», déplore le chercheur Bernard Robaire de l’Université McGill, expert en toxicologi­e, qui étudie notamment les effets de certains plastifian­ts sur la fertilité humaine.

La filière fossile

À l’épicerie, casseaux en carton ou en bois ont presque disparu des étalages, au profit de boîtes plastifiée­s ou de barquettes colorées en polystyrèn­e. Éclipsés aussi les bocaux en verre, de plus en plus boudés par l’industrie alimentair­e et celle des cosmétique­s.

Pourquoi cet engouement soudain pour le plastique? «En plus de son coût très bas, l’usage accru du plastique est alimentée par les industries fossiles qui ont trouvé de nouveaux marchés pour compenser la baisse de consommati­on du pétrole comme carburant», soutient le professeur Geyer. Jusqu’à 8% de la production du pétrole dans le monde est désormais dédiée aux « pétroles solides » que sont les résines de plastiques.

Ironiqueme­nt, les efforts déployés pour juguler les émissions de gaz à effets de serre dans le secteur énergétiqu­e n’ont ainsi peu ou pas affecté l’hydre à plusieurs têtes que sont les indsutries fossiles. «Nous n’avons aucune idée de l’impact réel de ces matériaux, créés sans que quiconque ait pensé à ce qui allait advenir de ces produits non biodégrada­bles, insiste le chercheur. En fait, nous assistons actuelleme­nt à une expérience menée à l’échelle mondiale. À du jamais vu.»

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