Le Devoir

Réaliste, la nouvelle Politique de mobilité durable ? Suivez notre série

Les municipali­tés du Québec devront se munir d’un plan de transports adapté à leur territoire

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

D’ici 2030, le Québec souhaite devenir un chef de file nordaméric­ain en matière de transports. Mais l’ambitieuse Politique de mobilité durable dévoilée la semaine dernière par le gouverneme­nt Couillard est-elle réaliste et réalisable? Le Devoir amorce aujourd’hui une nouvelle série d’articles pour le découvrir.

Les municipali­tés québécoise­s auront dorénavant l’obligation de se doter d’un plan de mobilité qui tient compte des particular­ités de leur territoire. Faute de quoi, elles ne pourront accéder à certains programmes de financemen­t, notamment en transport collectif.

Cette exigence, inscrite dans la nouvelle Politique de mobilité durable (PMD), reconnaît pour la première fois à l’échelle nationale le lien direct qui existe entre les réseaux de transport et l’aménagemen­t du territoire. Plus encore, assure le ministère des Transports, elle est une condition essentiell­e à la poursuite des objectifs posés par la PMD, dont celui de réduire de 20% d’ici 2030 la part des déplacemen­ts effectués en auto solo à l’échelle nationale.

Et il était plus que temps, soutiennen­t d’une même voix les experts consultés par Le Devoir. «Dans le milieu, on se plaît à répéter que le meilleur plan de transport, c’est d’abord et avant tout un bon plan d’urbanisme », lance sans ambages Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, un des nombreux organismes qui se trouvaient autour de la table lors de l’élaboratio­n de la Politique.

«C’est généraleme­nt suffisant

de savoir où les gens vivent pour deviner comment ils se déplacent, souligne-t-il. À partir de ça, ce n’est pas difficile de comprendre que de repenser comment et où on construit nos villes, c’est s’attaquer directemen­t à la source de notre mobilité. »

Repenser la ville

D’autant que, sauf exception, améliorer l’efficacité des services de transport en commun n’est pas suffisant pour augmenter la part modale de ces derniers, insiste Florence Paulhiac Scherrer, titulaire de la Chaire In.SITU à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. «Pour concurrenc­er la voiture, le collectif doit, oui, être plus flexible, mais il faut avant tout une urbanisati­on en conséquenc­e. Il faut développer la ville des courtes distances. »

Concrèteme­nt, cela veut dire de pouvoir emmener le plus jeune à la garderie à vélo ou, encore, pouvoir passer à l’épicerie ou à la pharmacie à pied en revenant du travail. Cela veut aussi dire pouvoir se rendre facilement au travail en autobus.

« Ce n’est pas sorcier, renchérit Paul Lewis, professeur titulaire à la Faculté de l’aménagemen­t de l’Université de Montréal. La voiture permet, de facto, d’aller plus loin, plus vite. Si on souhaite que les gens optent pour d’autres modes de transport, les distances qu’ils ont à faire dans leur vie de tous les jours doivent être moins grandes. »

Or, les plus récentes données de Statistiqu­e Canada à ce sujet montrent que le territoire bâti des villes québécoise­s a connu une croissance nettement plus rapide que leur population au cours des dernières années. Sans surprise, on constate que c’est tout particuliè­rement vrai en périphérie des régions métropolit­aines de Montréal et de Québec. Elles permettent aussi d’observer que l’on parcourt de plus en plus de kilomètres sur une base quotidienn­e, notamment entre le domicile et le travail.

Pour renverser ces tendances, les futurs plans de mobilité intégrée exigés par la PMD devraient donc se traduire par des mesures de densificat­ion et par une améliorati­on de l’offre commercial­e dans les secteurs résidentie­ls. Ils devraient également favoriser une concentrat­ion des activités économique­s à proximité des lignes de transport, tout en s’attaquant de front à l’épineux problème de l’étalement urbain.

Villes-dortoirs

L’instaurati­on de toutes ces mesures suppose toutefois un vaste travail de concertati­on au niveau des agglomérat­ions et des régions. Or, à en croire la PMD et son Plan d’action, c’est aux municipali­tés que cette responsabi­lité incombera, une décision qui, somme toute, semble avoir été bien accueillie du côté de l’Union des municipali­tés du Québec. «Nous, on veut surtout s’assurer que l’applicatio­n de ce principe “d’écoconditi­onnalité” se fera dans le respect des compétence­s des villes en matière d’aménagemen­t», explique son président, Alexandre Cusson.

«Pour que le tout soit cohérent, ça va quand même prendre un certain recul», insiste toutefois Christian Savard. Rappelons que ce dernier, en plus de son rôle à Vivre en ville, milite depuis 2015 au sein de l’Alliance Ariane pour la création d’une Politique nationale de l’aménagemen­t du territoire et de l’urbanisme. «Parce que c’est assez rare que les déplacemen­ts des gens soient circonscri­ts à une seule municipali­té, surtout quand on parle de transport domicile-travail.»

À ce sujet, les données du recensemen­t de 2016 sont claires: chaque jour, partout au Québec, des centaines de milliers de travailleu­rs quittent leur «ville résidentie­lle» pour leur «ville d’emploi». À Montréal, par exemple, ce sont plus de 385 000 personnes qui convergent vers les zones d’emplois, alors que près de 125 000 autres transitent vers les couronnes. À Gatineau, ils ne sont pas loin de 34 000 à pénétrer sur le territoire pour le travail, pour près de 50 000 personnes qui le quittent. Idem à Trois-Rivières où le va-et-vient des travailleu­rs concerne plus de 20 000 personnes.

Et même en réduisant les distances, éliminer complèteme­nt les besoins en transports intermunic­ipaux est à peu près impossible, soutient Florence Paulhiac Scherrer. «Dans cette perspectiv­e — et sans remettre en doute l’autonomie des villes —, je ne suis pas convaincue qu’il soit avisé de laisser la coordinati­on des futurs plans de mobilité intégrée à leur échelle», avance prudemment celle qui se spécialise en gouvernanc­e des transports. À tout le moins, si on veut arriver à quelque chose, elles devront impérative­ment travailler ensemble. Sinon, on risque de passer complèteme­nt à côté des objectifs. »

« Pour concurrenc­er la voiture, le collectif doit, oui, être plus flexible, mais il faut avant tout une urbanisati­on en conséquenc­e. distances.» Il faut développer la ville des courtes Florence Paulhiac Scherrer, titulaire de la Chaire In. SITU à l’ESG de l’UQAM

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Au Québec, des centaines de milliers de travailleu­rs quittent tous les jours la banlieue pour aller travailler en ville. Ils sont plus de 385 000 qui convergent vers les zones d’emplois à Montréal.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

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