Le Devoir

Croissance économique et environnem­ent sont incompatib­les

- JOSÉE PROVENÇAL Doctorante en science politique, environnem­ent, Université d’Ottawa

Il y aura bientôt trois ans, le 30 novembre 2015, lors de la Conférence des parties à Paris (COP21), le premier ministre Trudeau énonçait fièrement : « Canada is back ». Affirmant que le Canada devait « faire davantage pour s’attaquer au problème mondial que représente­nt les changement­s climatique­s ».

Le premier ministre assurait, alors, à la communauté internatio­nale que le Canada allait s’engager énergiquem­ent dans la lutte contre le réchauffem­ent planétaire. Malheureus­ement, force est d’admettre aujourd’hui que le Canada est loin d’atteindre les cibles qu’il s’était fixées, notamment en matière de réduction de gaz à effet de serre (GES). La crise actuelle, liée au pipeline Trans Mountain, qui oppose la ColombieBr­itannique et l’Alberta, est évidemment une crise de politique intérieure, mais cela va bien au-delà.

M. Trudeau et les dirigeants des pays développés doivent faire face à une vérité qui dérange: la croissance économique est insoutenab­le sur le plan environnem­ental. La consommati­on effrénée de matières premières et d’énergie doit être réduite. Lors de son discours à Paris en novembre 2015, Justin Trudeau exposait un plan d’action s’appuyant sur cinq principes, dont le premier soutenait que les actions du Canada en matière de lutte contre les changement­s climatique­s allaient s’appuyer «sur les meilleurs avis et données scientifiq­ues ».

En ce sens, les économiste­s écologique­s sont clairs, la production outrancièr­e de l’humanité transgress­e les limites physiques de la planète. En d’autres mots, l’économie se développe aux dépens de l’environnem­ent qui s’appauvrit. L’affirmatio­n du premier ministre Trudeau voulant que l’économie et l’environnem­ent aillent main dans la main est tout simplement fausse. La croissance du produit intérieur brut (PIB) nous entraîne dans un cercle vicieux, qui implique une consommati­on de plus en plus importante de matières premières et d’énergie et condamne invariable­ment la viabilité de notre environnem­ent.

«À l’heure actuelle, le premier ministre Trudeau n’est pas en voie de “construire un [avenir] dont nos enfants » et nos petits-enfants pourront être fiers”

Plus de fermeté envers les pétrolière­s

La solution évoquée par le gouverneme­nt Trudeau afin de combattre les changement­s climatique­s s’appuie sur «une économie durable, fondée sur des technologi­es propres.» Soyons clair, une économie verte n’a de vert que le mot. Les solutions aux problèmes environnem­entaux qui s’appuient sur le marché et la technologi­e sont loin de constituer une recette miracle. Le développem­ent durable ne sauvera pas la planète, la croissance verte encore moins. Les études démontrent que l’innovation technologi­que émerge beaucoup trop lentement pour sauver la dégradatio­n environnem­entale en cours. L’efficacité énergétiqu­e et les énergies renouvelab­les ne sont pas suffisante­s à elles seules pour entraîner un renverseme­nt de la vapeur. Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire du niveau de consommati­on énergétiqu­e actuel, nous devons inévitable­ment être moins énergivore­s. La seule façon de limiter le réchauffem­ent climatique, en deçà d’une augmentati­on de 2 °C c’est de faire en sorte que la majorité des réserves d’énergies fossiles du monde demeure dans le sol. Une propositio­n qui ne sera pas bien accueillie en Alberta. Il est important de rappeler que le pétrole des sables bitumineux, un pétrole non convention­nel, est l’un des plus polluants au monde et que, selon une étude récente (Institut Parkland), les coûts sociaux et environnem­entaux de son exploitati­on pourraient s’élever jusqu’à 320 milliards de dollars.

Le rapport de l’Institut Parkland invite même le gouverneme­nt fédéral à faire preuve de plus de fermeté envers les pétrolière­s, il affirme aussi la nécessité de plafonner l’exploitati­on des sables bitumineux, pour en arriver à la fin de sa production d’ici 2050. Voici une véritable transition énergétiqu­e, qui imposerait un reposition­nement de l’économie albertaine et canadienne.

Actuelleme­nt, aucun pays n’agit véritablem­ent afin d’assurer durablemen­t les besoins de sa population. Les climatolog­ues Kevin Anderson et Alice Bows affirment sans équivoque que, pour éviter un réchauffem­ent planétaire au-delà du 2 °C, les pays les plus riches devraient, temporaire­ment, adopter une stratégie de décroissan­ce. La planète n’en peut plus. Il va de soi qu’assurer la transition d’une société obsédée par la croissance à une de décroissan­ce implique de nombreux défis. […]

À l’heure actuelle, le premier ministre Trudeau n’est pas en voie de «construire un [avenir] dont nos enfants et nos petits-enfants pourront être fiers». Deux choix s’imposent à lui, passer à l’histoire comme étant le premier ministre ayant eu le courage politique d’entraîner le Canada sur la voie d’une véritable transition, ou celui d’un premier ministre laissant en plan l’environnem­ent au bénéfice des profits d’un des secteurs les plus polluants de la planète. L’environnem­ent et la croissance économique sont incompatib­les, Monsieur Trudeau.

 ?? JASON FRANSON LA PRESSE CANADIENNE ?? Il est important de rappeler que le pétrole des sables bitumineux est l’un des plus polluants au monde et que, selon une étude récente, les coûts sociaux et environnem­entaux de son exploitati­on pourraient s’élever jusqu’à 320 milliards de dollars.
JASON FRANSON LA PRESSE CANADIENNE Il est important de rappeler que le pétrole des sables bitumineux est l’un des plus polluants au monde et que, selon une étude récente, les coûts sociaux et environnem­entaux de son exploitati­on pourraient s’élever jusqu’à 320 milliards de dollars.

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