Le Devoir

Terroriste, tueur de masse ou les deux ?

De plus en plus de tueurs de masse s’inspirent des méthodes terroriste­s

- ISABELLE PARÉ ET AMÉLI PINEDA

Terroriste, désespéré, tueur fou ? Les dénominati­fs s’entremêlen­t pour décrire l’homme derrière l’attaque au camion bélier qui a coûté la vie à 10 personnes et en a blessé 14 autres à Toronto. Les frontières entre le terrorisme et les tueries de masse se brouillent de plus en plus, affirment plusieurs chercheurs, rendant difficile la prévention de tels gestes violents et radicaux.

Tous les experts consultés s’entendent pour dire que l’auteur présumé de l’attaque menée dans la Ville reine ne correspond pas à la définition convenue du terroriste, mais qu’il s’inscrit dans une mouvance de plus en plus fréquente: celle d’individus troublés mentalemen­t qui adoptent et imitent les méthodes de prédilecti­on des groupes terroriste­s, mais sans être mus par une idéologie.

«On voit de plus en plus de ces tueurs de masse qui, progressiv­ement, vont s’identifier à un courant de pensée. Leur idéologie, très floue et superficie­lle, reste un vernis qui n’a rien ou peu à voir avec des attentats comme ceux de Nice ou de Berlin», affirme Benjamin Ducol, responsabl­e de la recherche au Centre de prévention de la radicalisa­tion menant à la violence de Montréal (CPRMV).

«Ce ne sont pas les terroriste­s qui ont le monopole du moyen à utiliser pour une attaque», ajoute Janine Krieber, professeur­e à la retraite du Collège militaire royal de Saint-Jean

« Contaminé »

À la lumière des informatio­ns dont on disposait mardi, Alek Minassian, décrit comme un individu asocial ayant tenu des propos masculinis­tes, serait du lot de cette nouvelle catégorie hybride de tueurs de masse qui finissent par être «contaminés» par les discours et le modus operandi de groupes terroriste­s.

«C’est un effet domino du terrorisme et de la violence. Dans les années 1970, les terroriste­s privilégia­ient les prises d’otages et l’on voyait des désaxés qui imitaient leurs façons de faire. Aujourd’hui, les médias de masse et les réseaux sociaux ont accentué ce phénomène d’imitation, de contaminat­ion », ajoute ce chercheur du CPRMV.

Contrairem­ent aux narcissiqu­es désaxés qui tuent par pure motivation personnell­e et esprit de revanche, comme Valery Fabrikant ou Kimveer Gill — respective­ment auteurs de la tuerie de Concordia et de celle du collège Dawson —, ceux qui se situent à mi-chemin du déséquilib­re mental et de l’idéologie occupent une place croissante, estime Benjamin Ducol.

«Le profil du tueur de Toronto semble s’apparenter à ceux d’Alex Bissonnett­e à Québec ou même de Marc Lépine, tous deux des tueurs de masse mus par de graves problèmes personnels, mais qui ont adhéré plus tard à une logique ou une cause pour justifier leur geste violent et exprimer leur colère », soutient-il.

Un entre-deux

Ce chercheur du CPRVP observe d’ailleurs un nombre de plus en plus grand d’appels

C’est un effet domino du terrorisme et de la violence Benjamin Ducol, responsabl­e de la recherche au Centre de prévention de la radicalisa­tion menant à la violence de Montréal

faits pour signaler ce type d’individus aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais qui empruntent à une idéologie radicale sans appartenir à une organisati­on.

«Cela relève de la santé mentale plus que de la radicalisa­tion, et ça nous échappe. Ce sont des psychologu­es et des psychiatre­s qu’il faut. Or, les ressources manquent pour dépister et aider ces gens», affirme-t-il.

David Morin, titulaire, codirecteu­r de l’Observatoi­re sur la radicalisa­tion et l’extrémisme violent (OSR), abonde dans ce sens et rappelle que ce n’est pas le moyen qui définit l’acte terroriste, mais plutôt l’intention.

«Ce n’est pas moins grave ni moins tragique parce que ce n’est pas un acte terroriste; mais sans motivation­s politiques, dit-il, ce n’est pas du terrorisme. »

«L’attaque d’hier est un acte de terreur. Mais pour être considéré comme terroriste, l’acte doit avoir été organisé dans le but de déstabilis­er un État ou une ville », renchérit d’emblée Mario Berniqué, ancien agent à la Sûreté du Québec.

À cet égard, la piste «masculinis­te» rapidement évoquée dans les médias pour expliquer le drame survenu à Toronto est une erreur, croit David Morin.

«À cette étape, il est périlleux d’accoler a posteriori une intention idéologiqu­e dans un passage à l’acte. Les terroriste­s n’ont pas le monopole des outils meurtriers. Le camion bélier, c’est manifestem­ent l’arme du pauvre qui veut faire le plus de morts dans sa propre quête suicidaire », dit-il.

Des attaques aux véhicules béliers ont d’ailleurs été faites plus d’une douzaine de fois dans le monde ces dernières années sans que le geste ait un lien avec une idéologie.

Mimétisme

«Les individus se sont adaptés au fil du temps. Avec les niveaux de sécurité qui ont augmenté pour se procurer des armes comme un fusil ou des explosifs, [les tueurs] prennent ce qui est à leur portée», affirme Janine Krieber, professeur­e à la retraite du Collège militaire royal de Saint-Jean. «N’importe qui peut louer une voiture», indique cette spécialist­e.

Ce qui est clair, croit David Morin, c’est que, peu importent leurs motifs, les auteurs d’attaques de masse sont de plus en plus à l’écoute des moyens les plus spectacula­ires et les plus efficaces pour obtenir l’attention des médias sur leur acte mortifère.

«Ça démontre en tout cas à quel point la logique terroriste a imprégné autant les médias que notre société. »

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