Le Devoir

Un retard à rattraper

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Réunis en congrès le week-end dernier, les délégués du Parti libéral du Canada ont placé la création d’un régime universel d’assurance médicament­s en tête de leurs priorités pour les prochaines années. De là à croire que le Canada rejoindra bientôt le reste des pays développés, nous n’en sommes pas là.

Contrairem­ent à tous les pays développés qui ont, comme nous, un régime universel d’assurance maladie, le nôtre exclut la couverture des médicament­s en dehors des hôpitaux. Depuis l’adoption de son propre régime d’assurance médicament­s, en 1997, Québec oblige tout le monde à participer au régime de son employeur ou à celui de l’État. Contrairem­ent à la croyance populaire, un tel programme existe aussi dans les autres provinces, sous une forme ou l’autre, plus ou moins généreux, mais jamais universel ni gratuit.

Contrairem­ent à la croyance populaire, c’est au Québec qu’il en coûte le plus cher au pays pour se procurer des médicament­s sur ordonnance quand on additionne le coût des primes annuelles, des franchises et de la coassuranc­e à celui des ordonnance­s non remboursée­s: 1495$ par habitant contre 823$ en Ontario et 1135$ en moyenne au Canada. Pas de quoi se vanter!

Alors que les médicament­s n’occupaient qu’une place secondaire dans le traitement de la plupart des maladies il y a cinquante ans, ils sont aujourd’hui au centre du processus de guérison. Et cela se reflète dans les coûts. L’introducti­on de nouvelles molécules, de traitement­s biologique­s, oncologiqu­es et de ceux de maladies rares est venue annuler les économies réalisées grâce à la multiplica­tion des génériques.

Au Canada, 33,9 milliards ont été consacrés à l’achat de médicament­s prescrits en 2017. Bon an mal an, ces dépenses augmentent de plus de 5% par année, soit bien plus vite que l’inflation.

Ce sont donc les travailleu­rs, les retraités et les employeurs qui assument les coûts, sans lien avec leurs revenus, à l’exception des plus pauvres.

Un rapport publié la semaine dernière par le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, à Ottawa, propose rien de moins que d’ajouter la couverture des médicament­s prescrits au régime universel d’assurance maladie.

Si le gouverneme­nt fédéral donnait suite à cette propositio­n, il en coûterait au maximum 5$ pour une ordonnance et personne n’aurait à payer de prime, de coassuranc­e ou de franchise. Toujours selon ce comité de la Chambre contrôlé par les libéraux, c’est à Ottawa qu’il appartient de prendre la direction d’une telle réforme.

Une étude effectuée par le bureau du Directeur parlementa­ire du budget à la demande du comité évalue à quelque 8 milliards l’augmentati­on des dépenses nécessaire pour créer un tel régime. Pour le NPD, la facture devrait être séparée également entre Ottawa et les provinces, mais comment financer cette dépense en fin de compte? Par une augmentati­on des impôts? Lesquels?

Il ne fait aucun doute qu’en créant un régime universel d’assurance médicament­s, le Canada rattrapera­it une partie du retard pris sur les autres pays développés. À l’heure actuelle, faute de négocier sérieuseme­nt avec les compagnies pharmaceut­iques, nous sommes le pays au monde où les médicament­s prescrits coûtent le plus cher après les États-Unis et la Suisse. Et ce ne sont pas les assureurs privés qui changeront les choses, eux qui se contentent de faire assumer les augmentati­ons par leurs clients.

Cela étant admis, il est difficile d’imaginer que le fédéral et les provinces en viennent à s’entendre sur une formule qui respecte leurs compétence­s respective­s tout en garantissa­nt un partage équitable des coûts à long terme. On n’a qu’à se rappeler le refus obstiné d’Ottawa d’assumer la moitié de la hausse réelle des coûts du système de santé pour se convaincre de la résistance des provinces à adhérer à un régime conçu par Ottawa (Phénix).

Quant aux assureurs privés, on les voit mal perdre 10 milliards en chiffre d’affaires annuel sans monter aux barricades.

En revanche, si les libéraux de Justin Trudeau sont sérieux, pourquoi ne pas mettre quelques milliards supplément­aires par année à la dispositio­n des provinces dans le but spécifique d’améliorer et d’universali­ser leur couverture des médicament­s?

Au Québec, il serait plus que temps qu’on nous donne accès à un régime d’assurance médicament­s digne de ce nom. Malheureus­ement, il y a fort à craindre que la majestueus­e augmentati­on salariale accordée aux médecins — qui est détaillée ce matin dans nos pages — relègue le sort des patients au bas de la liste des priorités pour encore longtemps.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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