La refondation du Bloc québécois, un projet vicié
Le projet de refondation du Bloc québécois, proposé par son Forum Jeunesse, se trompe de cible. S’il y a crise au sein du mouvement indépendantiste, ce n’est pas le Bloc qui en est la cause. Il en est plutôt la victime. S’il y a une refondation nécessaire à faire, c’est celle du Parti québécois, qui refuse de faire la promotion de l’indépendance depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas le Bloc qui est le navire amiral de l’indépendance, mais le PQ. Il faut aller à la source du problème. Le Bloc n’est qu’une force d’appui au processus d’accession à l’indépendance. C’est au Québec que se fera l’indépendance et qu’on doit se doter d’un parti résolument engagé à faire l’indépendance.
Ce projet de refondation est inopportun, car pendant que les militants seront occupés à débattre de structures, ils ne seront pas mobilisés à travailler sur le terrain pour faire la promotion d’un programme indépendantiste. […] Et pourtant, nous aurons à faire face à une campagne électorale dans un an. Ce n’est pas une refondation qu’il faut au Bloc, mais une reconstruction des associations de circonscription pour combattre efficacement les partis fédéralistes.
Certes, nous faisons face aujourd’hui à des divisions internes. Mais peut-on sérieusement soutenir que la création d’un nouveau parti se fera dans l’harmonie? Si les membres doivent tout reprendre à zéro, cela suscitera encore plus de divisions et d’acrimonie. C’est la meilleure façon de paralyser l’action des indépendantistes pendant des mois, sinon des années.
Faire table rase du passé, comme le propose le Forum jeunesse, en jetant aux poubelles les statuts et le programme du Bloc, c’est manquer de respect envers tous les militants qui, dans le passé, congrès après congrès, ont participé à des dizaines de réunions pour élaborer les statuts et le programme du parti. Curieusement, les partisans de cette refondation ne nous disent même pas en quoi ces statuts et ce programme sont défectueux ou pourquoi il faudrait les changer. Une telle désinvolture envoie le message à ces milliers de militants qu’ils ont perdu leur temps […]. Ce n’est sans doute pas la bonne façon de les mobiliser pour continuer le combat.
Ceux qui proposent de refonder le Bloc nous disent que c’est pour être plus rassembleur et ouvrir le parti à tous les indépendantistes. Je ne savais pas que le Bloc était un club fermé, qu’il refusait des personnes venant des différents partis indépendantistes. Cette logique est d’autant plus surprenante que le Bloc est le seul parti indépendantiste sur la scène fédérale et que ses instances sont ouvertes à tous ceux et celles qui veulent s’impliquer. […]
« S’il y a crise au sein du mouvement indépendantiste, ce n’est pas le Bloc qui en est la cause. Il en est plutôt la victime. »
Une refondation dysfonctionnelle
Les promoteurs de la refondation font valoir qu’il y aura un congrès national auquel tous ceux qui le désirent pourront s’inscrire, le jour même s’ils le veulent, et lors duquel chaque membre disposera du droit de vote. C’est sans doute très généreux, mais peu fonctionnel pour construire un parti politique. Cela risque de se transformer en auberge espagnole où chacun tentera de faire valoir ses vues personnelles […]. Les débats risquent d’être acrimonieux […]. Le congrès d’un parti n’est pas une assemblée générale d’une association; il doit disposer d’un principe de cohérence qui agrège les intérêts différents grâce à un mécanisme de filtrage et de sélection des prises de position. Ce projet commun ne résulte pas de l’addition des volontés individuelles mais de leur fusion, ce qui implique des renoncements pour le bien commun. Or, la logique individualiste adoptée par le Forum jeunesse favorise la dissension parce qu’elle exclut tout mécanisme de filtrage des résolutions débattues par le congrès national.
Ce modèle «un membre, un vote» même pour les membres spontanés de dernière minute qui n’ont jamais rien fait pour le parti a déjà été expérimenté par Option nationale avec les conséquences désastreuses que l’on connaît. Ce modèle qu’on pourrait qualifier d’anarchiste ou d’anti-structure est dysfonctionnel pour un parti politique, car il rend les associations de circonscription inutiles. Vous n’avez pas besoin de militer dans une circonscription pour faire valoir vos idées et les faire accepter dans les différentes instances. Il vous suffit d’acheter une carte de membre et d’être présent au congrès national. Or, un parti qui ne peut construire d’associations de circonscription devient dysfonctionnel sur le plan électoral. Cela produit curieusement l’effet inverse de la démocratie puisque tout le pouvoir entre les congrès revient à la direction du parti.
Enfin, cette logique est antidémocratique car elle avantage ceux qui vivent dans les grandes villes et défavorise ceux qui vivent dans les régions éloignées. Elle légitime l’inégalité de pouvoir selon les lieux de résidence et les moyens financiers. Si le congrès national a lieu à Montréal, il en coûtera 2$ à un Montréalais pour exercer ses droits démocratiques alors que pour quelqu’un qui vient de Saguenay ou de Gaspé, il pourra lui en coûter 1000$. Est-ce cette inégalité qu’on veut promouvoir au Bloc ?