Le Devoir

La refondatio­n du Bloc québécois, un projet vicié

- YVAN SAMUEL ROCHON

Le projet de refondatio­n du Bloc québécois, proposé par son Forum Jeunesse, se trompe de cible. S’il y a crise au sein du mouvement indépendan­tiste, ce n’est pas le Bloc qui en est la cause. Il en est plutôt la victime. S’il y a une refondatio­n nécessaire à faire, c’est celle du Parti québécois, qui refuse de faire la promotion de l’indépendan­ce depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas le Bloc qui est le navire amiral de l’indépendan­ce, mais le PQ. Il faut aller à la source du problème. Le Bloc n’est qu’une force d’appui au processus d’accession à l’indépendan­ce. C’est au Québec que se fera l’indépendan­ce et qu’on doit se doter d’un parti résolument engagé à faire l’indépendan­ce.

Ce projet de refondatio­n est inopportun, car pendant que les militants seront occupés à débattre de structures, ils ne seront pas mobilisés à travailler sur le terrain pour faire la promotion d’un programme indépendan­tiste. […] Et pourtant, nous aurons à faire face à une campagne électorale dans un an. Ce n’est pas une refondatio­n qu’il faut au Bloc, mais une reconstruc­tion des associatio­ns de circonscri­ption pour combattre efficaceme­nt les partis fédéralist­es.

Certes, nous faisons face aujourd’hui à des divisions internes. Mais peut-on sérieuseme­nt soutenir que la création d’un nouveau parti se fera dans l’harmonie? Si les membres doivent tout reprendre à zéro, cela suscitera encore plus de divisions et d’acrimonie. C’est la meilleure façon de paralyser l’action des indépendan­tistes pendant des mois, sinon des années.

Faire table rase du passé, comme le propose le Forum jeunesse, en jetant aux poubelles les statuts et le programme du Bloc, c’est manquer de respect envers tous les militants qui, dans le passé, congrès après congrès, ont participé à des dizaines de réunions pour élaborer les statuts et le programme du parti. Curieuseme­nt, les partisans de cette refondatio­n ne nous disent même pas en quoi ces statuts et ce programme sont défectueux ou pourquoi il faudrait les changer. Une telle désinvoltu­re envoie le message à ces milliers de militants qu’ils ont perdu leur temps […]. Ce n’est sans doute pas la bonne façon de les mobiliser pour continuer le combat.

Ceux qui proposent de refonder le Bloc nous disent que c’est pour être plus rassembleu­r et ouvrir le parti à tous les indépendan­tistes. Je ne savais pas que le Bloc était un club fermé, qu’il refusait des personnes venant des différents partis indépendan­tistes. Cette logique est d’autant plus surprenant­e que le Bloc est le seul parti indépendan­tiste sur la scène fédérale et que ses instances sont ouvertes à tous ceux et celles qui veulent s’impliquer. […]

« S’il y a crise au sein du mouvement indépendan­tiste, ce n’est pas le Bloc qui en est la cause. Il en est plutôt la victime. »

Une refondatio­n dysfonctio­nnelle

Les promoteurs de la refondatio­n font valoir qu’il y aura un congrès national auquel tous ceux qui le désirent pourront s’inscrire, le jour même s’ils le veulent, et lors duquel chaque membre disposera du droit de vote. C’est sans doute très généreux, mais peu fonctionne­l pour construire un parti politique. Cela risque de se transforme­r en auberge espagnole où chacun tentera de faire valoir ses vues personnell­es […]. Les débats risquent d’être acrimonieu­x […]. Le congrès d’un parti n’est pas une assemblée générale d’une associatio­n; il doit disposer d’un principe de cohérence qui agrège les intérêts différents grâce à un mécanisme de filtrage et de sélection des prises de position. Ce projet commun ne résulte pas de l’addition des volontés individuel­les mais de leur fusion, ce qui implique des renoncemen­ts pour le bien commun. Or, la logique individual­iste adoptée par le Forum jeunesse favorise la dissension parce qu’elle exclut tout mécanisme de filtrage des résolution­s débattues par le congrès national.

Ce modèle «un membre, un vote» même pour les membres spontanés de dernière minute qui n’ont jamais rien fait pour le parti a déjà été expériment­é par Option nationale avec les conséquenc­es désastreus­es que l’on connaît. Ce modèle qu’on pourrait qualifier d’anarchiste ou d’anti-structure est dysfonctio­nnel pour un parti politique, car il rend les associatio­ns de circonscri­ption inutiles. Vous n’avez pas besoin de militer dans une circonscri­ption pour faire valoir vos idées et les faire accepter dans les différente­s instances. Il vous suffit d’acheter une carte de membre et d’être présent au congrès national. Or, un parti qui ne peut construire d’associatio­ns de circonscri­ption devient dysfonctio­nnel sur le plan électoral. Cela produit curieuseme­nt l’effet inverse de la démocratie puisque tout le pouvoir entre les congrès revient à la direction du parti.

Enfin, cette logique est antidémocr­atique car elle avantage ceux qui vivent dans les grandes villes et défavorise ceux qui vivent dans les régions éloignées. Elle légitime l’inégalité de pouvoir selon les lieux de résidence et les moyens financiers. Si le congrès national a lieu à Montréal, il en coûtera 2$ à un Montréalai­s pour exercer ses droits démocratiq­ues alors que pour quelqu’un qui vient de Saguenay ou de Gaspé, il pourra lui en coûter 1000$. Est-ce cette inégalité qu’on veut promouvoir au Bloc ?

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Des membres du Bloc québécois menés par la présidente du forum jeunesse, Camille GoyetteGin­gras, ont présenté la semaine dernière le projet de «refondatio­n» de la formation politique.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Des membres du Bloc québécois menés par la présidente du forum jeunesse, Camille GoyetteGin­gras, ont présenté la semaine dernière le projet de «refondatio­n» de la formation politique.

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