Zeitgeist La misère des riches sur les étals
L’économie circulaire tourne en rond
Je suis passée devant chez toi au pas de course et puis je suis revenue. Chic ! Une vente-débarras dite «de garage». Elles apparaissent avec les crocus et les tubes de Justin Timberlake qu’on entend fuser des bolides boostés, fenêtres baissées. Il y avait un foyer extérieur, du thé glacé, un joli sofa fleuri à vendre, un tapis moelleux à terre, à adopter également.
La maison aussi était à vendre, la plus belle de la rue, 850 000 $, pas donné, mais elle est unique. Pardonne-moi de te tutoyer ainsi, mais j’ai remarqué que tout le monde se tutoyait désormais, dans les réseaux sociaux et même dans l’entrée de ton garage.
«On est ben négociables, gênez-vous pas!» Je n’avais pas de monnaie sur moi, même pas une carte de débit. J’étais partie courir, pas m’endetter. Tu m’as fait la tronche lorsque je l’ai mentionné. «Dans ce cas-là, on n’est pas négociables!» De ménagère pépouze qui joue les marchandes du samedi, tu t’es transformée en mégère snobant la passante qui joue les anthropologues du… dimanche.
Je suis toujours curieuse de voir quels profits les riches peuvent encore tirer de leurs bébelles qui encombrent sous-sol, grenier et garage. Le trop-plein d’un désir émoussé ou d’une impulsion vite regrettée a encore un prix. Tes skis alpins avant-dernier cri, cette boîte de vaisselle en plastique, les livres du Pharmachien et ton Guide de l’auto 2016, des lampes de style mauresque, un casse-noisette géant aux côtés des décos de Noël dans le garage, un sac de flûtes à champagne, un tabouret à 50$ et ta souffleuse à feuilles. 50$ aussi. Really ?
Tu me donnerais 100$ et je n’en voudrais pas. Pollution sonore, de l’air, de l’âme, des chakras si tu y crois, de l’intelligence si tu y crois aussi, de la santé globale en tout cas, de ce qui fait que l’humanité a réussi à très bien survivre jusqu’à la fin du XXe siècle avec un râteau entre les mains.
Péril en la demeure
Le Jour de la Terre, c’est toujours pour demain. Aujourd’hui, nous tentons l’économie circulaire. C’est fabuleux et ça donne bonne conscience de pouvoir faire de l’argent avec de futurs déchets. Mais une cochonnerie de départ demeurera une cochonnerie d’arrivée. Ça, c’est si quelqu’un qui ne pratique pas le «mcsweenisme» t’offre 10$ avant la fin de la journée pour ta $%#? &&@! de souf fleuse.
Au mieux, elle s’étouffe bientôt, vaincue par l’obsolescence programmée, et finit au dépotoir pour se décomposer dans mille ans. Au pire, elle continue à empoisonner la vie de tout le voisinage jusqu’à ce que quelqu’un déclare un duel souffleuse-tronçonneuse. Y’a des gens qui pètent les plombs pour moins que ça. Ça s’est vu.
J’aurais dû m’asseoir sur ton sofa semi-neuf, goûter à ton thé glacé Ricardo et jaser de la théorie de l’économie circulaire avec toi.
Mon mari semi-vieux enseigne ça à l’université; les jeunes ont compris qu’ils n’auraient plus jamais besoin d’acheter de flûte à champagne pour boire leur kombucha. Grâce à toi qui vas les leur offrir. Tu fournis les bulles après avoir vendu ta baraque de rêve ou tu es trop endettée pour ça?
De toute façon, t’as remarqué comme tout le monde s’en fout? Justin ne voit pas l’utilité d’abolir les pailles en plastique, alors! Je ne te cause même pas pipeline.
Et le directeur parlementaire du budget a mentionné cette semaine qu’une taxe sur le carbone ralentirait la croissance économique canadienne. Mais on ne parle jamais du coût de l’immobilisme. Ça, non.
Cette externalité négative viendra après les élections de 2019. On peut attendre. Encourageons le petit geste.
Ah! le petit geste! C’est merveilleux de demander à 7,5 milliards d’individus de songer à leurs petits gestes alors qu’une poignée de dirigeants (mettons le G20) n’en accompliront pas de grands. «Mais les grands hommes ne naissent pas dans la grandeur, ils grandissent.» C’était dans le film Le parrain ; tu devrais le regarder, c’est un classique de vente de garage.
Au moment d’écrire ces lignes, le concierge de mon immeuble fait brûler sous ma fenêtre l’essence qui reste dans le réservoir de sa souffleuse à neige. Une foule de petits gestes comme ça, chaque jour, sont devenus des classiques. Dans ledit immeuble, il n’y a pas encore de bacs à compost et pas assez de bacs à recyclage. Et tout le monde s’en fout aussi.
Tic-tac, tic-tac
Lorsque je veux savoir à quelle heure il sera moins une, je me branche sur un drôle de compte à rebours, l’horloge du MCC (Mercator Research Institute on Global Commons and Climate Change: mcc-berlin. net/en/research/co2-budget. html). C’est saisissant de voir que, pour atteindre la cible de 1,5°C, il nous reste 4 mois — selon des estimations modérées — et pour celle de 2°C, 17 ans et 8 mois. Ils te donnent ça à la seconde près et avec l’option optimiste ou pessimiste aussi.
Des climatologues hardis suggèrent même la décroissance pour s’en sortir. Ça, ça veut dire qu’il faut arrêter d’hyperconsommer et de bander sur le PIB. Je sais, toute ton identité repose sur ce que tu possèdes. Moi aussi, t’en fais pas. C’est malgré nous. On nous a bien lessivé le cerveau.
«Nous appartenons désormais à une société de désir et non pas de besoins.» J’ai lu ça dans l’excellent livre de la journaliste Gisèle Kayata Eid, Consommation Inc. «La société de consommation est si bien intégrée à la vie des gens qu’il est difficile d’admettre que c’est une construction culturelle. Elle nous semble naturelle.»
Comme nous semble naturelle l’économie linéaire, acheter, jeter, acheter, jeter, épuiser les ressources «naturelles». Ton sofa fleuri et ton beau tapis, eux, ont fini au trottoir. Heureusement, quelqu’un dans le besoin ou un bon samaritain est venu profiter de l’aubaine le lendemain et il n’avait pas encore plu. Tu as fait des heureux sans-le-sou, sans le savoir. Sans le vouloir non plus. De toute façon, tes impôts servent à ça, donner au suivant sans le vouloir. On appelle ça la misère des riches.
Le trop-plein d’un désir émoussé ou d’une impulsion vite regrettée a encore un prix «La nature ne fait pas de déchets. Son secret : elle recycle tout. Hubert Reeves
Face aux grands périls, le salut grandeur» n’est que dans la Général de Gaulle