Le Devoir

Le nouvel antisémiti­sme

- CHRISTIAN RIOUX à Paris

En 1942, Mireille Knoll avait miraculeus­ement échappé à la rafle du Vél d’Hiv qui mena des milliers de juifs à la mort. Tragique ironie du sort, la voilà à 85 ans rattrapée par l’histoire. Son corps fut retrouvé le 23 mars dernier carbonisé et poignardé, victime de ce qui a toutes les apparences d’un crime antisémite. C’est du moins ce que soupçonnen­t les magistrats.

Si le caractère abject de cet assassinat devait être confirmé, il ne serait que le plus récent exemple de ce nouvel antisémiti­sme qui sévit en France. Un an plus tôt, c’est Sarah Halimi qui avait été assassinée à Belleville par un jeune musulman qui récitait des sourates du Coran. À ces meurtres, il faudrait en ajouter une dizaine d’autres en dix ans à peine.

C’est ce nouvel antisémiti­sme que dénonçait cette semaine un manifeste signé par 300 personnali­tés françaises. Rarement avait-on vu alignés des noms venus d’horizons aussi divers: de Charles Aznavour à Nicolas Sarkozy, en passant par Gérard Depardieu, Pascal Bruckner, Bertrand Delanoë et Jean-Pierre Raffarin. Le texte rédigé par l’ancien directeur de Charlie Hebdo Philippe Val a le mérite d’affirmer que si le vieil antisémiti­sme d’extrême droite n’a pas disparu, la France fait aujourd’hui face à un nouvel antisémiti­sme provenant principale­ment des population­s musulmanes.

Selon les données du ministère de l’Intérieur, les Français juifs ont aujourd’hui vingt-cinq fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyen­s musulmans. Chacun est en mesure de constater que les banlieues majoritair­ement peuplées de musulmans sont massivemen­t désertées par les population­s juives qui y habitaient souvent depuis des décennies. Certaines communes de Seine-Saint-Denis qui comptaient plusieurs centaines de familles juives n’en comptent plus aujourd’hui que quelques dizaines. «Épuration ethnique à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau », tranchent les signataire­s.

Il faut savoir que cette «alya intérieure» touche la France au coeur, elle qui avait été le premier pays à accorder la citoyennet­é aux Juifs à la Révolution. Un siècle plus tard, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État avait scellé ce pacte laïque entre la République et ses citoyens de confession juive.

Il ne s’agit pas de désigner à l’opprobre tous les musulmans, mais de constater que règne dans une partie significat­ive de ces population­s un antisémiti­sme virulent. C’est ce que démontrent seize enquêtes réalisées en Europe depuis douze ans, rappelait dans Le Monde le professeur de l’Université de l’Indiana Gunter Jikeli, que Le Devoir avait d’ailleurs interviewé en 2016. L’une d’elles, faite en 2015, conclut que 49% des Français musulmans interrogés étaient d’accord avec au moins six des onze déclaratio­ns antisémite­s qui leur étaient présentées. Récemment, Angela Merkel n’avait-elle pas dénoncé récemment un «autre antisémiti­sme », cette fois « d’origine arabe » ?

Si cette évidence continue à être niée sous prétexte de stigmatisa­tion, elle commence à être reconnue chez les musulmans eux-mêmes. Dans Le Monde, trente imams dont il faut souligner le courage admettaien­t cette semaine qu’ils étaient totalement dépassés par le phénomène. Dans un texte d’une rare lucidité, ils qualifiaie­nt la situation de «cancéreuse» et décrivaien­t rien de moins qu’«une anarchie religieuse gangrenant toute la société». Ainsi, appelaient-ils leurs coreligion­naires à résister à ce qu’ils désignaien­t comme une forme d’«orthodoxie de masse». Des mots qui n’ont rien de frivole.

Pourtant, les représenta­nts du culte musulman se refusent toujours à chercher dans l’islam et ses textes fondateurs les causes de cet antisémiti­sme. C’est justement ce que les invitait à faire Philippe Val en demandant «que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les autorités théologiqu­es, comme le furent les incohérenc­es de la Bible et l’antisémiti­sme catholique aboli par Vatican II ».

C’est en effet en 1965, à la fin du concile, que l’Église avait définitive­ment lavé le peuple juif du vieux stéréotype qui faisait de lui le « peuple déicide». Un préjugé vieux de plusieurs siècles et qui justifia nombre de pogroms. Si le vieil antijudaïs­me chrétien peut aujourd’hui être désigné comme tel au sein même de l’Église, pourquoi celui de l’islam devrait-il demeurer tabou ?

Mais, il n’en va pas du Coran comme des Évangiles. Une grande partie du problème réside dans le fait que, même si l’on sait que la rédaction du livre s’est étalée sur environ deux siècles, celui-ci se présente comme un texte «incréé» simplement dicté par Dieu au prophète. Sans compter que l’islam, surtout dans sa forme sunnite, n’a pas d’autorité centrale. Difficile donc de réunir un concile où l’on pourrait aborder franchemen­t la question comme l’exigerait l’urgence de la situation. Ajoutons que, tout au long des XIXe et XXe siècles, nombre de réformateu­rs ont échoué à rénover cette religion qui cherche aujourd’hui désespérém­ent sa voie dans la modernité.

Au moins, le manifeste des 300 permet-il d’en parler franchemen­t. Sans langue de bois ni fausses pudeurs. C’est déjà ça !

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