Tous contre Erdogan !
En convoquant des élections anticipées pour le 24 juin, Recep Tayyip Erdogan pense pouvoir profiter de la division et de l’affaiblissement de l’opposition pour renforcer son emprise sur la vie politique turque. Entendu que la tactique n’a rien de bien original. Au Venezuela, la récente décision du président Nicolas Maduro de convoquer en catastrophe des élections pour le 20 mai procède de la même manoeuvre. La première ministre britannique, Theresa May, s’y est brûlé les doigts avec son scrutin hâtif de juin 2017, dilapidant la majorité conservatrice pour se retrouver en piteux état de gouvernement minoritaire.
Pour M. Erdogan, il s’agit de faire appliquer au plus vite la réforme constitutionnelle qu’il a fait adopter par référendum en avril 2017. Une réforme qui se trouvera à renforcer considérablement les pouvoirs de la présidence. Il n’est évidemment pas sans paradoxe qu’il tienne à utiliser les instruments de la démocratie libérale pour légitimer sa dérive autoritaire. Que l’AKP, son parti islamo-conservateur, l’emporte en juin et, du reste, sa légitimité sera de toute façon discutable, vu le régime d’état d’urgence dans lequel il tient le pays et la répression tous azimuts qu’il exerce contre les médias qui le critiquent depuis le coup d’État raté de juillet 2016.
Le fait est que M. Erdogan, vainqueur de tous ses défis électoraux depuis 2002, se lance dans l’aventure alors que sa popularité est en baisse. L’usure du pouvoir le gagne, surtout auprès des électorats urbains, dans un contexte de désenchantement qui affecte même sa coterie. L’homme n’a, après tout, remporté son référendum constitutionnel de l’année dernière que par une toute petite marge de 51,47% des voix. Or, face à cette usure, l’opposition divisée et disparate donne tout à coup des signes de résistance organisée, ce qui est nouveau.
Une cause commune: faire échec au système présidentiel que M. Erdogan s’est taillé sur mesure. Les consultations entre partis de l’opposition se multiplient depuis l’annonce des élections hâtives. Cette semaine, contre toute attente, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate et laïque) a conclu un accord parlementaire avec un petit parti ultranationaliste, Bon Parti (BP), un accord sans lequel ce dernier aurait été interdit de participer à la campagne. M. Erdogan n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher de manifester publiquement son irritation à l’égard de cette alliance contre nature — difficile, en effet, à imaginer. Car elle lui nuira nécessairement, la chef du BP, Meral Aksener, ancienne ministre de l’Intérieur, étant une adversaire redoutable et populaire.
Tous contre Erdogan ! L’opposition est obligée, dans la conjoncture actuelle, de ratisser large. L’amalgame qui se dessine a au moins le mérite de donner aux opposants des moyens de résister.