Le péage urbain pour contrer les bouchons de circulation
Davantage de routes et de transports publics ont peu de chances de réduire la congestion
Depuis longtemps, le rêve de contrôler l’étalement urbain qui avait inspiré la Loi sur la protection du territoire agricole, adoptée le 9 novembre 1978, a été trahi autant qu’il était possible de le faire. On ne compte plus le nombre de maires, de promoteurs et de cultivateurs ayant réussi à contourner cette loi pour augmenter leur assiette foncière ou pour faire une fortune rapide en accélérant l’étalement urbain dans la grande région de Montréal, mais aussi ailleurs.
Les citoyens se sont rués sur les bonnes affaires et les habitations bon marché. Les municipalités de banlieue se sont endettées pour leur fournir les infrastructures, puis les services municipaux de base. On a construit des rues, des routes, des réseaux d’égout et d’aqueduc, des écoles, des cliniques et des hôpitaux. On a inauguré de nouvelles autoroutes, puis on les a prolongées.
Tout alla pour le mieux jusqu’au jour où le toutà-l’auto posa problème en matière de pollution et de congestion. Plus on construisait d’autoroutes, plus il y avait de voitures, et plus il y avait de voitures, plus on réclamait des autoroutes, jusqu’au jour où on réalisa que les autoroutes ne suffiraient pas à la tâche et qu’il fallait leur adjoindre des trains de banlieue, des stations de REM et de métro, ainsi que des voies réservées au transport en commun sur les autoroutes.
Les élections approchant, les maires de banlieue réclament maintenant à hauts cris que l’ensemble des citoyens du Québec leur paie ces cadeaux à coups de milliards de dollars. C’est une question de vie ou de mort, insistent-ils.
Le problème, c’est qu’il existe une loi économique du développement urbain qui porte le nom de « loi fondamentale de la congestion routière», loi formulée en 2009 par Gilles Duranton de l’Université de Pennsylvanie et Matthew Turner de l’Université Brown. Cette loi est basée sur une vaste étude de la congestion automobile aux États-Unis.
Elle énonce ce qui suit: «Toute augmentation de 1% du réseau autoroutier se traduit par une augmentation égale à 1% du nombre de kilomètres parcourus sur ce même réseau.» Trois facteurs expliquent cela: le développement du réseau autoroutier encourage le recours à l’automobile chez les utilisateurs existants; il attire de nouvelles activités de production axées sur le transport; il provoque un influx de nouveaux résidents.
Cette même loi vaut aussi pour le transport collectif lié ou non aux autoroutes, si bien que les deux économistes urbains concluent qu’une offre supplémentaire de routes et de transports publics a peu de chances de réduire la congestion (« is unlikely to relieve congestion »). Il ne faut jamais oublier qu’aux États-Unis (tout comme au Canada sans doute), un déplacement en transport en commun prend, en moyenne, 48 minutes, alors qu’un déplacement en automobile prend 24 minutes.
Une seule mesure efficace
Que faire alors? Augmenter le prix de l’essence n’aurait que très peu d’effet, du moins si on ne le multiplie pas par 3, par 4 ou même par 5 (en 1995, le prix de l’essence en France et en Italie était cinq fois supérieur au prix de l’essence aux États-Unis!). La seule mesure qui se soit avérée nettement efficace en matière de réduction de la congestion est celle que j’ai été le premier à proposer à Montréal, il y a 25 ans, en 1993, soit le péage urbain.
Il suffirait que nous imposions une taxe de congestion sur tous les ponts entourant Montréal pour qu’enfin tous retrouvent la raison et que les citoyens travaillant sur l’île de Montréal désertent les banlieues pour revenir sur l’île et que ceux travaillant dans les banlieues quittent l’île. Ainsi, la congestion, tant sur l’île qu’en dehors de l’île, serait enfin réduite.
Faire cela demande du courage politique, alors que promettre des milliards en investissements dans des autoroutes congestionnées et dans des REM et trains de banlieue n’en demande pas, hélas !