L’Église doit rendre le Saint Jérôme à la population
Dans son essai sur le don, publié dans Année sociologique en 1923-24, l’ethno-sociologue Marcel Mauss définit le concept d’échange dans les termes d’une triple obligation, «donner-recevoir-rendre », pour laisser enfin advenir «un fait social total». À partir de cette prémisse, on peut tenter de comprendre ce qui cloche dans l’histoire du don du fameux tableau de Jacques-Louis David intitulé Saint Jérôme entendant les trompettes du Jugement dernier (1779), fait par les soeurs Cramail à la basilique Notre-Dame de Québec en 1939.
Tout d’abord, à une échelle personnelle, quand on reçoit un don (par définition un bien qui ne nous a rien coûté), il est toujours «malaisant» d’en faire éventuellement le commerce (en exiger un prix en échange) puisqu’il nous a été donné par l’entremise d’un acte généreux posé gratuitement à notre endroit. Dans le cas qui nous occupe, comment expliquer la fièvre mercantiliste autour de cette oeuvre majeure qui, pourtant, a bel et bien fait l’objet d’un très généreux don de la part de bonnes et dévouées chrétiennes. L’Église ici, par le truchement de la fabrique, semble bien mal placée pour faire le commerce d’un bien qui est manifestement de l’ordre de la propriété publique puisque le tableau était à la base destiné à l’église en tant que lieu de rassemblement des fidèles, donc aux paroissiens et, in fine, à la population en général. Pourquoi donc le donataire, ici la fabrique, s’autorise-t-il à le marchander contre une somme d’argent (5 millions $US) qui ne court pas les rues à l’heure actuelle ?
Dans la trilogie du «donner-recevoirrendre» selon Mauss, l’église manque à son devoir de créer du lien social en ne rendant pas ce qui lui a été pourtant offert de bon coeur. Puisque ne pas rendre est une manière de briser l’obligation morale qu’impose tacitement l’acceptation d’un don. On comprend que l’Église a besoin d’argent pour maintenir en état ses biens que l’on sait nombreux. Pourquoi d’abord ne pas revoir radicalement son train de vie, à l’exemple de François à la tête de cette grande institution. Dans ce contexte, vendre ne devrait pas être une option. Redonner à la communauté des fidèles, c’est-àdire au public au sens le plus large du terme, est la seule avenue possible et le musée, par définition, est une institution publique qui a le mandat officiel et légal d’être le gardien du patrimoine culturel et naturel.
De plus, il est notoire que le musée sait parfaitement bien user des mécanismes de dégrèvement d’impôts pour délivrer de généreux reçus de charité en retour d’un don aussi conséquent. En échange de quelques allégements fiscaux, il saura soulager ainsi le fardeau fiscal de l’église pourtant réputé pour être moins lourd que celui d’autres institutions. Pourquoi alors faire une tempête médiatique avec une affaire qui devrait se conclure tout naturellement par un contre-don, c’est-àdire par la réciprocité de ce que l’église a reçu. On se rappelle que «dons et contre-dons créent du lien social» et l’Église a le devoir d’y souscrire, elle qui se veut rassembleuse des personnes de bonne volonté. Sans quoi, au Jugement dernier…
L’église manque à son devoir de créer du lien social en ne rendant pas ce qui lui a été offert de bon coeur