Le corps ennemi
L’adaptation de Déterrer les os ne rend pas tout à fait la forte voix du roman
DÉTERRER LES OS Texte de Fanie Demeule. Adaptation et mise en scène de Gabrielle Lessard. À la salle Jean-Claude-Germain jusqu’au 5 mai.
Le corps comme un ennemi extérieur à soi. Déterrer les os, le premier roman de Fanie Demeule, plonge avec sensibilité et puissance dans la psyché d’une jeune femme vivant un tel trouble. Dégoût des transformations de la puberté, boulimie, anorexie. La narratrice à la personnalité obsessive tente d’exercer un contrôle maniaque sur cette chair auquel elle impose excès puis privation, et un entraînement excessif. Un corps rebelle dont elle redoute l’ultime trahison: la mort. La romancière raconte cette bataille intime en déployant un don pour l’image et un sens elliptique du récit.
C’est peut-être cette construction inexorable, cette progression par courts chapitres denses, qui manque dans l’objet théâtral qu’en tire Gabrielle Lessard. La metteure en scène désirait établir une sorte de mise à distance critique face au récit subjectif d’une protagoniste cherchant la validation sociale et tentant donc de contrôler son image. Elle a ainsi ajouté au soliloque une narration au «tu»: ici, la protagoniste remonte le fil de son histoire en compagnie de son amoureux (Jérémie Francoeur, une présence très discrète, attentive). Sur scène, leur relation prend par moments la forme d’un dialogue, mais plus souvent d’une narration à deux. Ni monologue intérieur ni incarnation concrète du récit, la représentation paraît évoluer au final dans un entre-deux assez abstrait.
Dans le rôle principal, Charlotte Aubin se révèle toutefois une interprète lumineuse, imposant une conviction et une sincérité à fleur de peau. Même si dans certaines scènes, l’émotion m’a semblé un peu trop appuyée.
La production affiche par ailleurs un travail formel soigné, avec les lumières très expressives de Cédric Delorme-Bouchard et une trame sonore troublante signée Le Futur. La scénographie d’Odile Gamache reproduit le confort ouaté d’une chambre à coucher sur une plateforme tout en longueur, cernée par le public des deux côtés, et qui peut aussi évoquer un podium de défilé de mode. Un environnement dont la blancheur immaculée semble faire écho à la quête de pureté de la protagoniste.
Sur le plan narratif, Déterrer les os semble pourtant rester un peu orphelin de la voix forte révélée par Fanie Demeule. Peut-être que les spectateurs qui n’ont pas lu le roman sont mieux à même d’apprécier cette adaptation scénique…
La représentation paraît évoluer au final dans un entre-deux assez abstrait