Le Devoir

Le temps d’une pensée

Dans une pièce poétique, Philippe Dorin explore le temps qui passe

- MARIE FRADETTE Collaborat­rice

DANS MA MAISON DE PAPIER, J’AI DES POÈMES SUR LE FEU

Texte de Philippe Dorin, mise en scène d’Éric Jean. Avec Louise Laprade, Marie-Pier Labrecque, Michel-Maxime Legault et Maxim Paré-Fortin. Production du Théâtre Les Deux mondes Public cible : 8-12 ans. Présenté à La Maison Théâtre du 25 au 29 avril 2018 «T ous les enfants sont à l’intérieur d’une vieille personne, mais ils ne le savent pas», raconte Aimée, toute petite devant une immense porte. La lumière s’éteint puis Emma apparaît. En tout point pareille à la fillette, si ce n’est de l’âge qui a fait son oeuvre sur elle. «Déjà? Comme elle est venue vite la nuit. Il y a deux minute,s j’étais encore petite », dit-elle. Entre en scène un troisième personnage, un homme cravaté, en habit noir, symbole de la mort qui s’annonce. Mais avant de partir, Emma demande un sursis, «le temps d’une pensée», qu’elle puisse aller faire un tour du côté de son enfance.

On reconnaît bien ici le propos existentia­liste de Philippe Dorin, sa propension à fouiller l’âme, à se questionne­r sur la vie, sur le temps qui passe. Avec Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu l’auteur — qui nous a notamment donné Et Voilà encore un beau dimanche de passé! — explore ici cette dimension impalpable, mais combien omniprésen­te, du sablier qui s’écoule. Une rencontre improbable a alors lieu entre Emma (Louise Laprade) et Aimée (Marie-Pier Labrecque). Un échange poétique pendant lequel l’une se rappelle le passé, l’autre s’interroge sur la vie. «Pourquoi la nuit n’est pas claire comme le jour?» «Pourquoi sommes-nous nés dans les bras de quelqu’un qui nous les ouvre?» Elle fera d’ailleurs tout pour ne pas que son double la quitte. «Je ne veux pas que la mort vienne te prendre pendant ton sommeil », dira-telle à Emma. Cette rencontre chaleureus­e est toutefois entrecoupé­e de la présence de la mort (interprété par MichelMaxi­me Legault) qui revient à tout moment pour rappeler que la fin est proche.

Un clignement d’oeil

Dans un décor épuré — fait d’une porte et d’une fenêtre — posé sur une scène centrale tournante, la mise scène d’Éric Jean exprime avec une grande recherche esthétique la notion de temps suspendu, celui accordé à la vieille dame afin qu’elle replonge dans son passé. Un jeu de lumière alternant entre le noir total et la clarté invite à voir le tout comme des images en séquences flash, des pensées que nous livrent les personnage­s. Le mouvement engendré par la scène tournante a d’ailleurs tendance à accentuer avec efficacité cet effet stroboscop­ique.

Mais cette façon de faire, aussi belle et brillante soit-elle, n’a peut-être pas conquis les enfants réunis dans la Maison Théâtre. La subtilité de l’approche, qui se marie tout à fait bien à la poésie du texte, semblait bien obscure aux yeux de ces jeunes qui cherchaien­t dans ce spectacle étonnant mille et une façons de s’accrocher. Grouillant­s sur leur siège, ils riaient dès qu’ils voyaient une rare brèche pour le faire, que ce soit dans un mouvement ou alors une expression rendue par les comédiens — la danse d’Emma a particuliè­rement fait rigoler. Certains ont aussi tenté d’attraper le faisceau lumineux qui descendait sur les personnage­s et passait juste au-dessus de leur tête.

Autre effet inattendu, et difficile à saisir pendant la pièce, la présence non pas d’un, mais de deux hommes vêtus en habit, un élément dévoilé à la toute fin lors du salut final. L’effet de surprise a été réussi. Voilà donc une pièce difficile d’approche qui laisse place — et c’est la beauté du théâtre et de la poésie — à différente­s interpréta­tions. Si les enfants n’ont pas tout compris, ils ont néanmoins su non seulement profiter, mais faire vivre, à leur façon, la magie du théâtre. Ce qui n’est pas négligeabl­e.

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YANICK MACDONALD La mise en scène exprime avec une grande recherche esthétique la notion du temps suspendu.

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