Le Devoir

L’analyse du modèle Pangea ne met pas fin au débat

La question de la hausse de la valeur des terres demeure entière

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Après avoir analysé le modèle de l’entreprise agricole Pangea pendant près d’un an pour savoir s’il correspond au «modèle québécois», le ministère de l’Agricultur­e (MAPAQ) est toujours incapable de déterminer si cette société controvers­ée fait grimper la valeur des terres agricoles, comme le dénonce l’Union des producteur­s agricoles. Le ministre Laurent Lessard promet maintenant une autre étude pour faire la lumière sur cet enjeu.

Le gouverneme­nt du Québec a dévoilé jeudi le rapport que le ministre Lessard avait réclamé à la suite de l’investisse­ment de 20 millions de dollars de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du Fonds de solidarité FTQ dans Pangea, qui avait été révélé il y a un an par Le Devoir.

L’analyse du modèle d’affaires de Pangea produite par le MAPAQ en collaborat­ion avec la Financière agricole du Québec conclut qu’« une étude plus approfondi­e serait nécessaire pour déterminer si Pangea a réellement un effet à la hausse sur la valeur des terres agricoles».

«Il s’agit de l’enjeu principal puisqu’en présence d’un tel effet, Pangea pourrait nuire à l’accès à sa propriété par la relève et à l’expansion des fermes existantes », souligne-t-on.

Le MAPAQ écrit par ailleurs que le modèle d’affaires de Pangea, qui achète des terres et s’associe à des agriculteu­rs locaux pour créer une société de production agricole, peut être intéressan­t pour certains producteur­s.

Nouvelle étude

Le ministre de l’Agricultur­e, Laurent Lessard, a réagi au rapport par voie de communiqué en soufflant le chaud et le froid. Il reconnaît que le modèle de Pangea est légal et qu’il répond aux besoins de certains agriculteu­rs, mais il juge que l’approche de l’entreprise «n’est pas un exemple d’agricultur­e traditionn­elle et familiale ».

«La structure de Pangea n’ayant pas été éprouvée à long terme, j’entends suivre de près l’évolution de l’effet des interventi­ons des fonds d’investisse­ment sur les marchés fonciers agricoles du Québec», a-t-il déclaré, en précisant qu’il commandera une nouvelle étude à son ministère pour déterminer si «les fonds d’investisse­ment tels que Pangea » font grimper la valeur des terres agricoles.

«Je tiens à mentionner que nous ne souhaitons pas le développem­ent d’une agricultur­e de locataires», a ajouté le ministre, sans indiquer clairement s’il estime que l’approche de Pangea correspond ou non au «modèle québécois». Il a refusé la demande d’entrevue du Devoir.

Un rapport qui «passe à côté»

Selon le président de l’UPA, Marcel Groleau, le rapport du MAPAQ «passe à côté de l’essentiel». «On n’a pas cherché à aller assez loin pour voir l’impact du modèle [Pangea] et surtout voir l’impact de l’investisse­ment de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité sur le modèle agricole québécois. »

À son avis, le ministre Lessard s’éloigne du véritable problème en demandant maintenant une étude sur la hausse de la valeur des terres. «Le fait que les producteur­s n’aient pas les mêmes moyens que Pangea, qui est appuyé par la Caisse et le Fonds de solidarité, demeure entier», insiste-t-il.

Le cofondateu­r de Pangea Serge Fortin estime pour sa part que le rapport est «factuel» et qu’il permet de «remettre certaines pendules à l’heure», notamment en ce qui concerne la relation entre Pangea et les agriculteu­rs. «Peut-on passer à l’action maintenant ? » lance-t-il.

M. Fortin réitère que Pangea n’a aucune intention de faire monter le prix des terres agricoles. «Pourquoi je voudrais faire monter le prix des terres, alors que je suis en activité? dit-il. La logique ne tient pas, ce n’est pas rationnel.»

À qui la faute?

Le rapport du MAPAQ indique que Pangea est actuelleme­nt copropriét­aire de huit sociétés de production agricoles au Québec, lesquelles exploitent plus de 8000 hectares de terres. L’objectif de l’entreprise est de créer un maximum de 20 sociétés de production dans la province pour atteindre environ 20 000 hectares, ce qui correspond­rait alors à 0,57% de l’ensemble des superficie­s exploitées au Québec. Si les fondateurs de l’entreprise atteignent leur but, Pangea deviendrai­t le plus important propriétai­re de terres agricoles de la province.

L’UPA fait valoir que Pangea a grandement contribué à la hausse de la valeur des terres agricoles, particuliè­rement au Saguenay–LacSaint-Jean en 2013 (+27%) et en 2014 (+42%). Le MAPAQ retient plutôt que l’augmentati­on de la valeur des terres dans cette région s’est chiffrée à 16,5% entre 2013 et 2016, alors que la hausse a été de 15,3% pour la même période à la grandeur du Québec.

«Il est impossible de confirmer, à l’aide des informatio­ns que le MAPAQ a en sa possession, que cette hausse du prix des terres agricoles est influencée par Pangea», note le rapport.

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