Le Devoir

L’État-providence canadien peut facilement passer de héros à zéro

- ÉRIC DESROSIERS

Le Canada montre bien que c’est une chose d’avoir un système d’impôt plus équitable que les autres, mais que c’en est une autre de prélever suffisamme­nt d’argent pour financer des programmes sociaux généreux.

L’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s a dévoilé jeudi de nouvelles statistiqu­es où le Canada fait plutôt bonne figure.

On y mesure la charge fiscale nette des particulie­rs, c’est-à-dire le total de l’impôt sur leur revenu et autres charges sociales perçues sur leur salaire auquel on soustrayai­t les transferts d’argent et crédits d’impôt auxquels ils ont droit. L’OCDE y arrive à la conclusion que ce fardeau au Canada est non seulement parmi les plus faibles des pays développés — y compris les États-Unis —, mais aussi encore plus bas pour les familles à faibles revenus, avec enfants ou monoparent­ales. Au point où ce fardeau fiscal net peut être pratiqueme­nt nul, voire négatif, lorsque le montant des transferts sociaux reçus du gouverneme­nt par les familles est équivalant ou supérieur aux impôts et cotisation­s sociales versés, comme pour les familles de deux adultes et deux enfants dépendant d’un seul revenu équivalant au salaire moyen (charge fiscale nette de 1,2%) ou les familles monoparent­ales de deux enfants dont le chef de famille reçoit un salaire équivalant aux deux tiers de la moyenne canadienne (charge fiscale nette de – 15,2 %).

Il se peut que certaines personnes aient une impression de déjà-vu devant ces résultats. Il faut dire que la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke brosse le même genre de tableau depuis quelques années déjà. La valeur ajoutée de ce travail est qu’il ne s’arrête pas aux pays développés et qu’il s’étend aussi aux provinces canadienne­s. Cela permet notamment de constater que le préjugé favorable du système fiscal canadien pour les plus pauvres et les enfants se révèle encore plus marqué au Québec. Bien que généraleme­nt inférieure à la plupart des pays développés, la charge fiscale nette au Québec apparaît en effet légèrement supérieure à celle de la moyenne canadienne pour les contribuab­les plus aisés et les ménages sans enfants, mais se révèle la plus faible de toutes pour les familles monoparent­ales et les ménages avec enfants les plus démunis en comparaiso­n des économies de l’OCDE.

De héros à zéro

Ce portrait de la réalité devrait conforter ceux qui estiment que le rôle des gouverneme­nts est d’assurer un certain repartage de la richesse pour un plus grand bien-être commun. Mais l’impôt des particulie­rs et les transferts sociaux ne sont pas les seuls moyens à la dispositio­n des gouverneme­nts à cet égard. On pense également aux dépenses publiques en santé, en éducation ou encore dans les programmes sociaux. Or, à ce dernier chapitre, le Canada est loin de faire office de premier de classe, constatait jeudi le politologu­e de l’Université de Montréal Alain Noël dans la revue Options politiques de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). Excepté pour les dépenses publiques en santé, où il fait plutôt bien, et même lorsque l’on tient compte des particular­ités de son système de retraite, il arrive, en effet, non seulement derrière la moyenne des pays de l’OCDE en matière de dépenses en proportion de son produit intérieur brut (PIB), mais parfois même derrière (suprême déshonneur) les États-Unis.

D’un autre côté, ce manque d’effort sur le plan des dépenses sociales ne devrait pas tellement nous étonner quand on sait que le Canada compte aussi parmi les pays où les gouverneme­nts prélèvent le moins d’impôts, toutes sources confondues. La moyenne de l’OCDE à ce chapitre était de 34,3 % du PIB en 2016. Le Canada affiche une moyenne de 31,7%, soit plus que les États-Unis (26 %) et l’Australie (28,2%), mais moins que le Royaume-Uni (33,2%) et l’Allemagne (37,6 %), et à des lieux notamment des pays nordiques comme la Suède (44,1%) et le Danemark (45,9%), mais aussi de la France (45,3 %) et de la Belgique (44,2%).

« Le fait que le Canada soit à peu près dernier de classe pour ce qui est des dépenses sociales publiques en pourcentag­e du PIB ne tient ni à une erreur de mesure ni à une façon particuliè­rement canadienne d’être généreux», écrit Alain Noël. «De toute façon qu’on le regarde, le Canada ne possède tout simplement pas un État-providence généreux. Les gouverneme­nts font leur part pour les soins de santé, mais pour le reste, ils n’assurent que le minimum, en se donnant des ressources financière­s moindres que la plupart des pays riches. »

Consolatio­n

Les données de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke permettent toutefois de constater que le Québec fait un peu bande à part au Canada. Plus proche, en ce domaine, de l’Europe que de l’Amérique du Nord, l’ensemble de ses gouverneme­nts y exerce en effet une pression fiscale totale équivalant à 38,5% de son PIB, comparativ­ement à une moyenne canadienne sans le Québec de 30,4 %.

Cela contribue, sans doute, au fait que la société québécoise affiche un niveau d’inégalité de revenu après impôt supérieur à celui des pays d’Europe du Nord, du Japon ou de l’Allemagne, mais sensibleme­nt inférieur à la moyenne canadienne et bien en dessous de plusieurs autres pays développés, notamment le Royaume-Uni et les ÉtatsUnis. Le Québec et, dans une moindre mesure, le Canada peuvent aussi se vanter d’être parmi les endroits dans le monde à offrir les meilleures chances de gravir les échelons sociaux (mobilité sociale) aux côtés de chefs de file comme le Danemark et la Norvège.

Le Canada compte parmi les pays où les gouverneme­nts prélèvent le moins d’impôts, toutes sources confondues

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Excepté pour les dépenses publiques en santé, où il fait plutôt bien, et même lorsque l’on tient compte des particular­ités de son système de retraite, le Canada arrive derrière la moyenne des pays de l’OCDE en matière de dépenses en proportion de son...

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