Le Devoir

Inquiète des tensions protection­nistes, la BCE s’accorde un sursis

- JEAN-PHILIPPE LACOUR à Francfort

La Banque centrale européenne a brossé jeudi un tableau assombri fait de «modération» de la croissance et d’«aggravatio­n» des menaces protection­nistes, pour s’abstenir de toute indication sur l’abandon de son vaste soutien à l’économie.

Les observateu­rs avides de connaître l’échéance des prochaines mesures en seront pour leurs frais: «Le moment décisif viendra en juin… ou juillet», résume Carsten Brzeski, d’ING Diba, pour qui la BCE « invente de nouvelles manières de s’acheter du temps».

Mario Draghi, le président de l’institutio­n, a en effet adopté un ton plus pessimiste qu’auparavant, Washington étant susceptibl­e d’imposer dans les prochains jours des droits de douane sur l’acier et l’aluminium à l’Europe. Les tensions commercial­es relèvent certes encore de «la rhétorique», mais il reste à voir «ce qu’elles vont produire» et surtout «l’étendue des représaill­es», a alerté l’Italien. «Ce qui est certain, c’est que ces événements ont un effet profond et rapide sur la confiance» des milieux économique­s, susceptibl­e d’« affecter à son tour les perspectiv­es de croissance», a-t-il mis en garde, en écho à la récente série d’indicateur­s décevants dans la zone euro.

À quelques jours de la publicatio­n du PIB du premier trimestre pour l’ensemble de la zone, mercredi prochain, « quasiment tous les pays ont expériment­é, à des degrés divers, une modération ou une perte de dynamique dans la croissance », a souligné M. Draghi.

De telles déclaratio­ns pourraient suggérer un «changement déguisé dans l’évaluation des risques par la BCE», a commenté Holger Schmieding, économiste chez Berenberg Bank. La BCE ne sait pas encore s’il s’agit d’une faiblesse momentanée de la demande, d’un phénomène saisonnier ou bien d’un début de ralentisse­ment «après plusieurs trimestres de croissance plus élevée que prévu».

L’évaluation de la conjonctur­e a occupé une bonne partie de la réunion du conseil des gouverneur­s, au point qu’il «n’a pas été question de politique monétaire», a assuré le président de la banque centrale.

La BCE a réitéré sa «confiance» dans les chances de voir «converger» l’inflation vers l’objectif fixé par son mandat, soit un niveau proche mais inférieur à 2% à moyen terme. Il est néanmoins trop tôt pour crier victoire: l’augmentati­on des prix a certes connu un frémisseme­nt en passant de 1,1% en février à 1,3% en mars, mais elle est restée calée à 1% en excluant les matières premières et l’énergie, soit les composante­s les plus instables de cet indicateur.

Dans ce contexte, l’institutio­n de Francfort a maintenu comme attendu ses taux directeurs au plus bas et confirmé jusqu’en septembre, et «audelà si nécessaire», son programme de rachats de dettes publiques et privées, le «QE», à un rythme de 30 milliards d’euros par mois. La BCE a aussi réaffirmé qu’elle relèverait ses taux «bien après» l’abandon du QE, une séquence gravée dans le marbre dont tout le monde attend désormais de connaître le calendrier. «L’incertitud­e mondiale fait qu’il est difficile pour la Banque centrale européenne de trouver le bon moment et la bonne vitesse pour mettre fin à sa politique monétaire expansionn­iste», constate Marcel Fratzscher, le directeur de l’institut de conjonctur­e DIW.

Les analystes s’efforcent désormais de savoir si la BCE tranchera en juin, comme veut le croire ING Diba, ou en juillet, comme s’y attend la banque LBBW. L’institutio­n disposera dans sept semaines d’un nouveau jeu de projection­s de croissance et d’inflation à l’horizon 2020, lui donnant une «meilleure idée de la faiblesse des données économique­s ou du début d’un ralentisse­ment», selon Carsten Brzeski.

Quelle que soit sa volonté de garder des marges de manoeuvre, la BCE ne pourra pas éternellem­ent tergiverse­r et devra abandonner le QE d’ici la fin de l’année «pour des raisons à la fois opérationn­elles et politiques», souligne pour sa part Gilles Moec, chez Bank of America Merrill Lynch.

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DANIEL ROLAND AGENCE FRANCE-PRESSE Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi

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