Montréal, plus ou moins ? sous la loupe des chercheurs
Vox réactive l’exposition de 1972 qui voulait redonner la ville aux citoyens
Parmi les expositions qui font l’histoire de l’art contemporain au Québec, celle de Montréal plus ou moins ? s’impose. Vox en fait le quatrième cas de figure de sa série «Créer à rebours vers l’exposition » amorcée en 2016, qui consiste à retracer des expositions marquantes. Le cas est riche pour offrir certains défis liés à sa reconstitution documentaire et pour son sujet : Montréal.
C’est la métropole des citoyens que l’exposition présentée en 1972 au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) abordait. Plusieurs groupes, artistiques ou non, avaient répondu à l’appel de l’organisateur, l’architecte Melvin Charney, avec des projets participatifs qui allaient changer l’image du musée de la rue Sherbrooke, alors encore engoncé dans son élitisme. «L’expo-forum», comme elle se présentait, a rejoint un public élargi invité à réfléchir sur le sort de la ville, dans un contexte post-crise d’Octobre. Les grands et controversés travaux de la tour de Radio-Canada et de la Transcanadienne composaient également la toile de fond.
L’expo ne faisait pas dans la carte postale. Le résume la couverture du catalogue, le principal document connu, mais auquel les travaux de recherche menés par les étudiants du séminaire en muséologie de la professeure Marie Fraser de l’UQAM, responsable de l’exposition documentaire, apporte aujourd’hui une compréhension affinée. La reproduction d’une carte postale au logo distinctif de Montréal se détache en petit sur une large photo de Michel Campeau prise dans un quartier populaire, sujet d’élection pour lui et son collectif, le Groupe d’action photographique (GAP).
Dimension participative
En plus de remettre en perspective le catalogue, l’exposition chez Vox fait apparaître tout le caractère inédit de Montréal, plus ou moins?. Puisés dans différents fonds d’archives, tels ceux du MBAM, de Melvin Charney (décédé en 2012) déposé au CCA et d’Artexte, les documents se déploient sur un mur ou sous vitrine en offrant plusieurs points d’entrée sur l’événement, de sa préparation à sa réception.
Des exemples de caricatures de Pierre Dupras se moquant du maire Drapeau et des photos de la série Les murs parlent (avec ses graffitis FLcu et Pouvoir ouvrier) de Roger Charbonneau (GAP) côtoient des lettres qui nous apprennent les démarches faites pour transposer la ville dans le musée par le prêt de bancs publics et d’arbres en pot. Des articles de journaux font état d’un accueil mitigé par la critique ou annoncent l’annulation du concert de Robert Charlebois qui devait avoir lieu. La haute direction du musée avait changé d’idée de peur de voir arriver un public indésirable.
Les documents sont élégamment désignés sur les feuilles détachables d’une tablette au mur, à l’exemple, comme nous le montrent les vues documentaires de l’exposition prises par Henri Koro, des affiches qu’il était possible d’emporter avec soi à l’époque. Le dispositif, que des artistes notoires ont exploité plus tard, concrétisait la démocratisation de l’accès à l’art sous la forme de la gratuité et de la participation.
Labyrinthe
Un extrait de l’émission Format 30 de Radio-Canada fait revivre en images quelques minutes du très animé vernissage. Malgré ces fragments rassemblés et le fin travail d’enquête, des pans inconnus de l’expo demeurent. Un appel aux témoignages est d’ailleurs lancé aux personnes voulant partager leurs souvenirs. En place, six entretiens sonores récents avec des artistes livrent des récits éclairants, dont celui de François Vincent des Fabulous Rockets, qui avec son groupe Point Zéro avait construit un labyrinthe, clou de l’exposition.
Il s’agissait d’un environnement immersif ponctué de panneaux signalétiques, de kiosques à journaux et de réplique de lieux qui faisaient découvrir des thèmes liés à la ville: transport, pollution, santé, travail, logement et loisir. Rapprocher l’art de la vie était le credo observé par ce genre d’oeuvre qui avait eu des précédents (Vive la rue Saint-Denis , Québec scenic tour). L’esprit était au décloisonnement entre les disciplines que favorisaient les collectifs d’artistes, autour notamment de Serge Lemoyne sous diverses appellations, au moment d’Expo 67 et d’Opération Déclic (1968). Si Montréal, plus ou moins ? en était le prolongement, il préfigurait Corridart (1976) où Charney joua aussi un rôle clé.
L’expo chez Vox pointe avec raison la pertinence actuelle des questions soulevées à l’époque en matière de développement, d’urbanisme et d’engagement citoyen. En 1972, tant Charney dans son catalogue que des articles de journaux remarquent les grands absents, bien qu’invités, de ce forum organisé au musée: le gouvernement provincial et l’administration municipale, pourtant derrière de nombreux projets en construction.
Le cas de Montréal, plus ou moins ? Vox, centre de l’image contemporaine, 2, rue Sainte-Catherine Est, jusqu’au 30 juin 2018.