Le Devoir

Juguler la congestion autoroutiè­re, un défi de taille

Québec veut diminuer le temps de déplacemen­t entre le domicile et le travail, une cible qui doit être accompagné­e de mesures rapides, estiment des experts

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

D’ici 2030, le Québec souhaite devenir un chef de file nordaméric­ain en matière de transports. Mais l’ambitieuse Politique de mobilité durable dévoilée à la mi-avril par le gouverneme­nt Couillard est-elle réaliste et réalisable? Le Devoir poursuit aujourd’hui sa série d’articles pour le découvrir.

Les Québécois n’ont jamais perdu autant de temps à se déplacer. Collective­ment, cette réalité, exacerbée par l’intensific­ation de la congestion routière, nous coûte des milliards de dollars chaque année. C’est donc sans surprise que l’on retrouve dans la nouvelle Politique de mobilité durable (PMD) une cible de réduction de 20 % du temps de déplacemen­t moyen entre le domicile et le travail. Les experts estiment toutefois que des mesures devront rapidement être mises en place si le Québec souhaite vraiment y arriver d’ici 2030.

«C’est très ambitieux, pour ne pas dire irréaliste, lance sans ambages Florence Paulhiac Scherrer, titulaire de la Chaire In.SITU à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Quand on regarde ce qui se fait à l’internatio­nal, on se rend vite compte qu’à peu près personne n’a réussi à réduire les temps de déplacemen­t dans les centres urbains au cours des dernières décennies. Au mieux, on arrive à les stabiliser et déjà ça, pour le Québec, ce serait bien. »

Moins tranché, Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, estime tout de même que, sans une multiplica­tion des projets de transport collectif et un moratoire clair sur l’étalement urbain, cette cible sera difficilem­ent atteignabl­e. «C’est important de se donner des objectifs ambitieux, c’est ce qui nous permet d’avancer comme société, affirme celui qui occupe son poste depuis 2006. Mais, après, il faut aussi se doter de moyens à la hauteur. »

Il faut dire que, depuis dix ans, le nombre d’heures que les Québécois consacrent à se rendre à leur lieu de travail a considérab­lement augmenté. C’est particuliè­rement vrai dans les centres urbains, où l’afflux de véhicules n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des dernières années. Dans la grande région de Montréal, on parle même maintenant d’un taux de motorisati­on deux fois plus rapide que la croissance démographi­que.

L’urgence de la couronne nord

Sur la couronne nord de la métropole, cela s’est traduit, entre 2014 et 2017, par une augmentati­on de plus de 45 % du nombre d’heures consacrées aux déplacemen­ts domicile-travail sur les principaux axes routiers, selon une récente étude réalisée par la firme de génie-conseil WSP Canada. À l’heure de pointe du soir, on parle d’une hausse de 107% en tout juste quatre ans.

«La situation est rendue tout simplement insoutenab­le, déplore le maire de Laval, Marc Demers. C’est un problème qui nous coûte cher et qui mine de plus en plus la qualité de vie de nos citoyens. Il faut agir et il faut le faire maintenant, sinon ça ne va aller qu’en empirant.» Ce sentiment d’urgence exprimé par l’élu lavallois est partagé par les autres maires de la région. Réunis à Laval le 23 avril lors du Forum sur la mobilité et le transport collectif, ces derniers en ont profité pour demander à Québec de mettre en place rapidement des mesures pour réduire la congestion routière sur leur territoire.

Les élus souhaitent, dans un premier temps, voir implanter un vaste réseau de

voies réservées aux autobus le long des principaux axes autoroutie­rs qui relient les villes de la Rive-Nord. À plus long terme, ils voudraient aussi que le gouverneme­nt considère sérieuseme­nt le déploiemen­t d’un nouveau lien entre Laval et Montréal. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un prolongeme­nt de la ligne orange à partir de Côte-Vertu ou encore de l’ajout d’une antenne au futur Réseau express métropolit­ain (REM). D’une manière ou d’une autre, cela permettrai­t, selon eux, une meilleure répartitio­n de l’achalandag­e en direction de la métropole.

Au-delà du transport collectif

La simple bonificati­on de l’offre de transport collectif risque toutefois de ne pas être suffisante pour renverser la tendance décriée. À ce sujet, les plus récentes données de Statistiqu­e Canada montrent en effet que la hausse des temps de déplacemen­t des dernières années est en partie imputable aux transports en commun.

En banlieue, cela s’explique, entre autres choses, parce que les autobus se retrouvent euxmêmes coincés dans les bouchons de circulatio­n. «À temps égal, la grande majorité des gens préfèrent encore être seuls dans leur véhicule, fait remarquer Florence Paulhiac Scherrer. Et, malheureus­ement, le temps que les gens réussissen­t à gagner est souvent réinvesti en distance parcourue. C’est un des paradoxes liés à la voiture qu’on a bien du mal à comprendre. »

Selon elle, si le Québec est sérieux dans son désir d’atteindre ces cibles, il n’aura pas le choix d’imposer à terme des mesures coercitive­s à l’utilisatio­n de l’auto solo. Ces dernières ne devraient toutefois pas primer une améliorati­on substantie­lle de l’offre de transport en commun, nuance Florence Junca-Adenot, professeur­e au Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es de l’UQAM et directrice du Forum URBA 2015. «On ne peut pas s’attendre à ce que les gens fassent le saut si on ne leur propose pas de solutions de rechange», stipule celle qui a collaboré dès le début à l’élaboratio­n de la PMD.

Pôles d’emploi

Pour sa part, Christian Savard estime que, pour être réellement efficace, il faudra s’attaquer à l’origine même des déplacemen­ts effectués. «Les gens ne passent pas des heures dans leur voiture ou dans l’autobus pour le plaisir, insiste-t-il. Ils se rendent presque toujours quelque part et c’est bien souvent pour aller travailler. Pour réduire les temps de déplacemen­t, la clé, c’est donc de réduire les distances qui séparent les gens de leur lieu de travail. »

Au cours des dernières années, les pôles d’emploi se sont multipliés dans les centres urbains, délaissant les centres-villes au profit d’axes routiers achalandés. Et plutôt que de limiter les kilomètres parcourus, cette déconcentr­ation a contribué à repousser, une fois de plus, les frontières des agglomérat­ions urbaines. Idéalement, selon le directeur de Vivre en ville, il faudrait donc s’assurer que les nouveaux pôles se développen­t toujours à proximité de réseaux de transport durable structuran­ts, comme les stations de métro, les terminus d’autobus et les futures gares du REM.

« Et si vous voulez mon avis, la vraie solution serait de carrément freiner la croissance des villes dans un avenir rapproché. Je ne me ferai pas d’amis en disant ça, mais les plus récents chiffres sont clairs, on est arrivé à la saturation de notre écosystème urbain. Il est peut-être temps de le laisser souffler!»

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OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR Les maires de Laval et des Basses-Laurentide­s souhaitent voir implanter dans un avenir rapproché un vaste réseau de voies réservées aux autobus le long des principaux axes autoroutie­rs qui relient les villes de la Rive-Nord.

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