Le Devoir

Schisme chez les groupes de lutte contre l’itinérance

Le RAPSIM pourrait perdre des plumes après le départ de trois de ses membres

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Les approches à prioriser pour lutter le plus efficaceme­nt possible contre l’itinérance divisent de plus en plus le milieu communauta­ire. Des divergence­s d’opinions existent depuis quelques années, mais le départ récent de trois importants organismes du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal (RAPSIM) met en évidence cette scission idéologiqu­e, selon un expert.

Le 12 avril, la Maison du Père, la Mission Bon Accueil et l’Accueil Bonneau, trois ressources majeures d’aide aux personnes itinérante­s, ont annoncé qu’elles quittaient le RAPSIM, regroupeme­nt qui chapeaute une centaine d’organisati­ons et qui porte leurs voix auprès des instances gouverneme­ntales et dans l’espace public.

Ces trois organismes disent ne plus se sentir représenté­s par le RAPSIM, qui a exprimé publiqueme­nt au cours des dernières années des opinions contraires aux leurs, notamment sur le plan du logement, du financemen­t et du développem­ent des ser vices.

C’est pourquoi ils ont choisi de se joindre à la Mission Old Brewery — qui n’a jamais été membre du RAPSIM — pour former Convergenc­e Itinérance Montréal. «À nous quatre, on rejoint 92 % de la population itinérante de Montréal. Il était donc temps pour nous de porter notre propre voix», explique le directeur de la Mission Bon Accueil, Samuel Watts. Les responsabl­es des quatre ressources ont tous indiqué au Devoir travailler ensemble étroitemen­t au quotidien, ce qui a naturellem­ent favorisé leur associatio­n. «Nous sommes tous sur la même longueur d’onde», résume le président de la Mission Old Brewery, Matthew Pearce.

Le RAPSIM qualifie ces départs de «regrettabl­es». Néanmoins, on assure de toute part vouloir continuer à travailler de concert sur plusieurs dossiers communs.

Ces trois joueurs majeurs ont annoncé leur départ à quelques jours du dénombreme­nt de la population itinérante de Montréal, qui s’est tenu mardi dernier. Ce dossier est la principale pomme de discorde entre ces derniers et leur ancien regroupeme­nt.

D’un côté, l’Accueil Bonneau, la Maison du Père et la Mission Bon Accueil sont favorables à cette initiative, qui, bien qu’imparfaite, permet selon eux d’obtenir de précieuses données afin de mieux orienter les programmes et les services. De l’autre, le RAPSIM se montre plus critique. «C’est un portrait très partiel de la réalité, sous-estimant plusieurs parties de la population, dont les femmes», soutient le coordinate­ur du RAPSIM, Pierre Gaudreau, rappelant par exemple que 80% des femmes itinérante­s font tout pour ne pas se retrouver à la rue ou dans les ressources d’aide. Selon lui, il y a un danger à décider des politiques publiques en se basant sur «un polaroïd imparfait de la réalité».

Visions divergente­s des solutions

Autre enjeu qui cause des flammèches : l’attributio­n du financemen­t fédéral en itinérance. Pour sa part, le RAPSIM milite depuis des années pour que cette enveloppe favorise une pluralité d’approches pour lutter contre l’itinérance, notamment en prévention. Convergenc­e itinérance Montréal prône plutôt un financemen­t axé sur le «logement d’abord», qui consiste à fournir aux sans-abri un logement subvention­né sur le marché privé. «Ça donne des résultats: on a un taux de maintien de 95%», affirme le directeur de l’Accueil Bonneau, Aubin Boudreau.

Le RAPSIM perd seulement trois membres sur la centaine d’organismes qu’il chapeaute, mais «ce ne sont pas n’importe lesquels», souligne le professeur de l’École de travail social de l’UQAM Michel Parazelli. Selon lui, leur départ risque d’amoindrir le rapport de force du RAPSIM auprès des instances gouverneme­ntales. «Le RAPSIM maintenait une certaine cohésion entre les groupes pour avoir un rapport de force unifié dans les politiques en itinérance. Là, ça a pété », résume-t-il.

L’expert craint que Convergenc­e itinérance Montréal obtienne à terme davantage de financemen­t, au détriment du RAPSIM. «Ça risque de disqualifi­er progressiv­ement les membres du RAPSIM, qui n’ont pas d’objectif chiffré de rentabilit­é», dit-il.

En effet, selon Michel Parazelli, la divergence idéologiqu­e entre le RAPSIM et Convergenc­e itinérance Montréal est symptomati­que d’une tendance philanthro­pique qui s’observe de plus en plus à travers le monde, qu’il nomme «charité néolibéral­e». «Il se développe une convergenc­e entre la charité et les injonction­s néolibéral­es actuelles qui sévissent dans le système», décrit-il. Concrèteme­nt, les donateurs privés demandent de plus en plus à voir les résultats de leur contributi­on (un retour sur investisse­ment), ce que permettent notamment les données du dénombreme­nt et de l’approche « logement d’abord ».

Il est toutefois dangereux de mettre tous ses oeufs dans le même panier en priorisant une seule approche, prévient le professeur. «Ça évacue les causes qui mènent des gens à la rue: leurs parcours, l’isolement, la perte de liens sociaux, les mesures d’austérité, etc. Avec ça, il n’y a plus de réflexion plus large sur comment s’exerce la solidarité collective. »

Ces trois joueurs majeurs ont annoncé leur départ à quelques jours du dénombreme­nt de la population itinérante de Montréal

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