Le Devoir

Pas de vraie vérificati­on

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Alexandre Bissonnett­e, le tireur de la mosquée de Québec, détenait légalement un permis de possession d’armes à feu malgré un lourd historique de problèmes de santé mentale. Pourtant, au Canada, l’obtention d’un permis d’armes est conditionn­elle à la vérificati­on des antécédent­s médicaux du demandeur. Mais voilà: aucune vérificati­on proactive n’est faite, a appris Le Devoir. Tout repose sur l’autodéclar­ation.

Une personne désireuse de posséder une arme à feu doit détenir un permis de possession et d’acquisitio­n, délivré par le Programme canadien des armes à feu (PCAF), une entité relevant de la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC). Dans le formulaire, le demandeur doit indiquer si, au cours des cinq dernières années, il a déjà « tenté ou menacé de se suicider » ou si, après avoir consulté un médecin, il a fait l’objet d’un diagnostic ou subi un traitement pour une dépression, des problèmes comporteme­ntaux ou émotifs ou pour des problèmes d’abus de substances.

Ces questions sont posées parce qu’elles «aident à cerner certaines situations dont on sait qu’elles augmentent le risque qu’une personne devienne violente ou suicidaire», écrit le porteparol­e de la GRC, Harold Pfleiderer.

«Si le demandeur répond “oui” à l’une ou l’autre de ces questions», continue M. Pfleiderer, «il doit annexer à sa demande une page distincte dans laquelle il doit fournir des renseignem­ents supplément­aires à cet égard. Le demandeur doit obligatoir­ement fournir un formulaire médical si des problèmes de santé mentale sont mis au jour pendant le traitement de sa demande. Les renseignem­ents fournis sont évalués par le PCAF et peuvent faire l’objet d’une enquête plus approfondi­e.» Répondre «oui» n’entraîne pas le refus automatiqu­e de la demande.

La cas Bissonnett­e

Mais si le demandeur coche «non»? Aucune vérificati­on supplément­aire n’est effectuée. Un demandeur a donc tout le loisir de taire ses épisodes suicidaire­s ou dépressifs pour s’éviter un refus potentiel. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Alexandre Bissonnett­e. Il a admis avoir menti

sur sa demande de permis aux questions portant sur la santé mentale, a indiqué l’expertise psychologi­que présentée en cours pendant les observatio­ns sur la peine.

Alexandre Bissonnett­e a obtenu son permis d’armes en octobre 2014, un mois après en avoir fait la demande. Il avait pourtant consulté à trois reprises dans les deux années précédant cette demande pour des attaques de panique, des troubles anxieux, des idées suicidaire­s et des symptômes dépressifs. Il s’était fait prescrire du lorazépam et du citalopram. On lui avait aussi suggéré de suivre une thérapie. Il avait fait une tentative de suicide vers l’âge de 16 ans. Toutes ces informatio­ns auraient dû être prises en compte dans le processus d’octroi d’un permis d’armes à feu. Il possédait légalement toutes les armes qu’il a utilisées lors du massacre. Seul son chargeur de 30 balles était illégal parce qu’il dépassait la limite de cinq prévue.

Cette révélation met en lumière que les changement­s apportés par Ottawa à la Loi sur les armes à feu n’auront peut-être aucun effet. Le projet de loi C-71 resserrant le contrôle des armes à feu, déposé le mois dernier, retire la référence à la période de cinq ans: tous les antécédent­s médicaux du demandeur doivent être déclarés, même s’ils sont survenus plus de cinq ans avant la demande de permis. Le gouverneme­nt fédéral a présenté ce changement comme une améliorati­on à la Loi. Mais comme aucun mécanisme supplément­aire de vérificati­on n’est instauré, le projet de loi ne fait qu’étirer la période pour laquelle le demandeur doit autodéclar­er ses problèmes de santé.

À la Sûreté du Québec, qui contrôle les armes à feu dans la province, on tempère en rappelant qu’un demandeur doit faire signer sa demande de permis par deux répondants que les forces policières peuvent contacter pour vérifier certaines informatio­ns.

En 2016, 2,08 millions de personnes possédaien­t un permis de possession et d’acquisitio­n d’armes à feu, dont 493 230 au Québec. Les permis sont renouvelab­les tous les cinq ans. Il y a eu 406 592 permis délivrés ou renouvelés en 2016. Seulement 771 demandes ont été refusées, notamment 139 pour cause de problèmes de santé mentale, 142 parce que le demandeur posait un risque potentiel pour autrui et 55 pour comporteme­nt violent.

Possible de vérifier ?

La vérificati­on des antécédent­s médicaux par les autorités serait difficile à faire, car il n’existe pas de guichet unique pour consulter l’entièreté du dossier médical d’une personne. Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) rappelle que le Dossier santé (DSQ), qui est en partie en place, ne «permettrai­t pas nécessaire­ment d’avoir l’informatio­n sur les antécédent­s psychologi­ques d’une personne» parce que les diagnostic­s «figurent dans le dossier médical local d’un patient », précise la porte-parole Noémie Vanheuverz­wijn. C’est donc dire que, même si la GRC contactait le médecin de famille d’un demandeur, elle ne découvrira­it pas nécessaire­ment si le demandeur a par ailleurs été traité dans un autre cabinet ou à l’urgence pour un épisode psychotiqu­e, par exemple.

«Il n’y a pas d’intention au MSSS de donner accès à des renseignem­ents personnels, de nature médicale, dans le cadre d’une demande de permis de possession ou d’acquisitio­n d’armes à feu », conclut d’ailleurs Mme Vanheuverz­wijn.

Notons qu’au Québec, la loi Anasthasia, entrée en vigueur en septembre 2008, prévoit que tout médecin, psychologu­e, infirmier, thérapeute conjugal ou psychoéduc­ateur qui «dans le cadre de l’exercice de sa profession, a un motif raisonnabl­e de croire qu’une personne a un comporteme­nt susceptibl­e de compromett­re sa sécurité ou celle d’autrui avec une arme à feu est autorisé à signaler ce comporteme­nt aux autorités policières». Selon la GRC, aucune autre province au Canada n’a de telles dispositio­ns. Cette dispositio­n était en place lors de la demande de permis d’Alexandre Bissonnett­e.

Des problèmes policiers

Un demandeur de permis d’armes à feu doit par ailleurs indiquer s’il a déjà eu des démêlés avec la justice dans le passé. Mais dans ce caslà, les vérificati­ons sont automatiqu­es.

En effet, comme l’explique la GRC, les détenteurs ou demandeurs d’un permis d’armes à feu sont inscrits dans le Système canadien d’informatio­n relativeme­nt aux armes à feu, le SCIRAF. Le SCIRAF vérifie automatiqu­ement chaque jour le Centre d’informatio­n de la police canadienne (CIPC) dans lequel sont versés tous les rapports d’incident impliquant une personne et la police. Tout détenteur ou demandeur d’un permis d’arme se retrouvant dans le CIPC en lien avec un événement où il y a eu de la violence, des menaces proférées, des drogues ou une arrestatio­n en vertu de la Loi sur la santé mentale est porté à l’attention du contrôleur des armes à feu «pour examen et enquête ».

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR En 2016, 2,08 millions de personnes possédaien­t un permis de possession et d’acquisitio­n d’armes à feu, dont 493 230 au Québec.

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