Une « super maman » des mers à sauver
«Kleenex», qui compte 22 descendants, est empêtrée dans du matériel de pêche
Les spécialistes du sauvetage des baleines noires multiplient les efforts pour tenter de libérer la femelle la plus prolifique de son espèce, qui est sévèrement empêtrée dans un engin de pêche. Cet animal, surnommé «Kleenex», témoigne d’ailleurs des embûches que rencontrent ces cétacés dans leur habitat naturel. Plus de 80% des baleines noires adultes portent des cicatrices d’empêtrements.
«C’est une femelle très importante pour toute la population», résume Bob Lynch, du Marine Animal Entanglement Response (MAER), associé au Center for Coastal Studies (CCS). «C’est exactement le genre d’individu qu’on veut absolument sauver, précise-t-il au Devoir. Dans un contexte où il ne reste pas plus de 430 baleines noires, la perte d’une seule femelle en mesure de se reproduire risque d’avoir un effet dévastateur sur la survie de la population. »
La situation est d’autant plus critique qu’il existe moins d’une centaine de femelles adultes, donc en âge de se reproduire. Et Kleenex — qui tient son surnom d’un de ses baleineaux, qui portait des marques qui lui donnaient l’air d’avoir le nez qui coule — est une femelle particulièrement importante pour son espèce.
À elle seule, elle est à l’origine de 5% de la population actuelle. Depuis qu’elle a été observée pour la première fois, en 1977, elle a ellemême eu huit baleineaux, un record pour l’espèce. Mère, grand-mère et arrière-grandmère, elle ne compte pas moins de 22 descendants.
Risques pour les femelles
Cette productivité est d’autant plus exceptionnelle que le rythme de reproduction de la baleine noire demeure lent, même dans les meilleures conditions. La femelle peut, au mieux, donner naissance tous les trois ans, et ce, une fois qu’elle a atteint l’âge de 10 ans. Mais pour cela, il faut qu’elle trouve des ressources alimentaires abondantes et qu’elle évite les collisions avec les navires ou les empêtrements.
«Lorsque les femelles se retrouvent empêtrées, nous avons découvert que, si les blessures sont importantes ou si l’empêtrement se poursuit longtemps, leur capacité de reproduction diminue, ou alors elle disparaît complètement», souligne Bob Lynch.
Lorsque Kleenex a été aperçue en mars dernier, cela faisait près de quatre ans que les scientifiques qui étudient ces baleines très menacées ne l’avaient pas aperçue. Mais tout indique qu’elle a passé des moments difficiles. Un cordage d’engin de pêche entrave sa mâchoire supérieure et l’animal semble particulièrement amaigri, ce qui laisse présager une mauvaise condition physique.
Aucun baleineau
L’équipe dont faisait partie Bob Lynch est parvenue à localiser la baleine au cours des derniers jours, grâce à un programme de surveillance aérienne dans la région de Cape Cod. Les sauveteurs, habitués à ce genre d’opération, disent toutefois avoir été confrontés à un cas particulièrement complexe. Ils n’ont donc pas réussi à retirer le câble qui semble nuire sérieusement à son alimentation.
M. Lynch espère maintenant retrouver l’animal. Mais pour l’instant, il croise les doigts pour que Kleenex parvienne à se tirer d’affaire. «Il est possible qu’elle parvienne à se libérer grâce aux efforts menés jusqu’à présent, mais il est aussi possible que nous puissions intervenir de nouveau, si nous la localisons. »
L’équipe du New England Aquarium espère aussi que cette baleine, bien connue depuis plus de 40 ans, pourra retrouver sa liberté de mouvement. La scientifique Amy Knowlton rappelle que l’espèce ne peut se permettre une répétition des mortalités de 2017, avec 18 baleines retrouvées mortes.
La situation est d’autant plus inquiétante qu’aucun baleineau n’est venu s’ajouter à la population en 2018, une première en 23 ans. À terme, l’espèce pourrait disparaître d’ici 25 ans si les mortalités se poursuivent, souligne Mme Knowlton.
La présence accrue des baleines noires dans les eaux du golfe du Saint-Laurent a d’ailleurs forcé le gouvernement à imposer des restrictions sur les pêches et sur la navigation, pour tenter de les protéger. Une situation qui suscite du mécontentement chez les pêcheurs de crabe de neiges et de homard, en plus d’avoir provoqué l’annulation de certaines escales prévues par des navires de croisières.