Le Devoir

L’accoucheme­nt

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

La reine et le roi vécurent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants. Nombre de contes se referment ainsi, bercés par la douceur paisible d’un avenir à peine esquissé. Ces histoires font cependant toujours l’économie de nous dire ce qu’il advient ensuite de ce pouvoir perpétué par la loi de l’hérédité sur laquelle se fonde la monarchie, sans se soucier d’une quelconque modernité.

Le pouvoir monarchiqu­e s’est maintenu à rebrousse-poil du progrès social. Aussi n’en finit-on pas de tenter de le lisser pour le faire accepter, quitte à réécrire pour aujourd’hui des versions actualisée­s de ces contes d’hier voués à le légitimer.

Kate Middleton, la duchesse de Cambridge, vient d’accoucher d’un garçon, son troisième enfant.

Son époux, William, duc de Cambridge, né en 1982, est le deuxième dans la ligne de succession à la couronne d’Angleterre, d’Irlande et de quinze autres États et territoire­s, dont le Canada et la Papouasie–Nouvelle-Guinée.

Montés sur le piédestal portatif sur lequel se présente en permanence cette coûteuse monarchie décorative, le prince William et la duchesse Kate se sont empressés d’offrir leur nouveau-né à la contemplat­ion du vaste monde que forment leurs sujets gavés d’images léchées à la façon Disney.

À l’occasion de cette présentati­on, soit quelques heures à peine après qu’elle eut accouché, la duchesse semblait sortir tout droit de chez le coiffeur, maquillée, le teint frais, souriante, avenante, rayonnante, vêtue d’une splendide robe rouge, couleur sans doute de circonstan­ce. Quelques cinéphiles n’ont pas manqué de faire remarquer que la duchesse de Cambridge portait alors une robe identique à celle qu’arbore Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, l’histoire d’horreur de cette femme qui a vécu un viol et qui devient une simple matrice.

Le petit prince Louis dans les bras, Kate Middleton s’est présentée à la foule telle qu’elle paraît en toute autre occasion, comme si le pouvoir royal se refusait à admettre l’imprévisib­le déchirure du temps de l’accoucheme­nt, au nom des seules prérogativ­es de sa reproducti­on et de sa représenta­tion. À croire que rien de vraiment particulie­r ne s’était passé cette journée-là…

Le pouvoir royal a toujours su jeter illusion afin d’incarner dans l’éclat de sa richesse le principe mécanique et immuable de sa continuati­on. Selon ce principe, la chair humaine la plus tendre se trouve brandie comme un simple trophée devant lequel la multitude est priée de bien vouloir réitérer sa foi en l’institutio­n royale, en son autorité, en sa fiction.

Pour quel avenir du genre humain plaide ce modèle étouffant pourtant célébré par de doucereuse­s et constantes caresses médiatique­s ?

Contrairem­ent à ce que racontent les belles histoires d’autrefois, les princes n’épousent pas des bergères. Ils se marient avec le pouvoir. Et dans la fabrique du pouvoir, les princesses sont vouées à produire des enfants afin que la monarchie ne perde pas pied en glissant dans une flaque de sang qui, par malheur, ne serait pas du leur.

La royauté offre ainsi un exemple parfait de négation du libre arbitre. La femme d’extraction royale est sur-encadrée et hyper-assistée, au nom des engrenages d’un pouvoir qui s’empare tout entier des corps des monarques pour magnifier l’éclat du nom des familles régnantes.

Le nouveau-né offert ces derniers jours à la vue de tous constitue ainsi le triste trophée que ce système sclérosé s’accorde au nom de la fixité de sa tradition. De cet enfant d’à peine quelques jours, on connaît déjà le rôle qu’il jouera une fois grand: il deviendra à son tour un bibelot vivant.

S’il a été projeté à l’échelle de toute une société, ce modèle que l’on célèbre pourtant serait vite qualifié de catastroph­ique tant il est contraire à l’idée d’une expérience ouverte du devenir humain.

Canadienne ou autre, la royauté est l’expression du racisme le plus éhonté, reconduit au nom d’un système où le sang et la lignée établissen­t d’emblée un rang social définitif. C’est l’école du privilège qui l’emporte sur celle du mérite, de l’oisiveté qui se substitue à la créativité, de la naissance qui supplante l’intelligen­ce comme principe d’existence.

Que ce soit sous le nom d’Elizabeth, de Charles, de William, voire sous celui de leurs incarnatio­ns creuses et interchang­eables, façon Michaëlle Jean ou Julie Payette, la royauté se fonde sur le principe ridicule d’un mérite qui viendrait de la seule division cellulaire, au nom de la perpétuati­on figée de cette bête tradition qui nie les forces vives de l’histoire.

Voilà en somme un monde obscuranti­ste, qui nous dit que la volonté ne sert à rien puisque, en définitive tout est entendu d’avance.

Comment ne pas voir dans la royauté et ceux qui la flattent quelque chose de terribleme­nt vulgaire, bien que les monarques et leur famille aiment plus que tout croire être d’un parti tout contraire?

De cet enfant d’à peine quelques jours, on connaît déjà le rôle qu’il jouera une fois grand: il deviendra à son tour un bibelot vivant

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