Le Devoir

De l’indépendan­ce si difficile à réaliser

- JEAN-PIERRE JOLIVET Député et ex-ministre du Parti québécois (1976-2001)

Dès ma tendre enfance, j’ai baigné dans une atmosphère d’indépendan­ce. Mon grand-père maternel, Anatole Poirier, par sa famille, est issu de la déportatio­n de l’Acadie. Des membres de sa famille sont passés par le nord des ÉtatsUnis avant d’aboutir au sud de l’Ontario pour finalement arriver à Montréal.

Anatole a uni sa destinée à celle de ma grand-mère maternelle, Victoria Papineau; Papineau, ça nous dit quelque chose, hein?

Quant à mon père, Julien Jolivet, il a été partisan du Bloc populaire (1942-1947), parti nationalis­te du Québec sous la gouverne au fédéral de Maxime Raymond et au provincial d’André Laurendeau.

Et moi, dans tout cela? Eh bien, j’ai été membre de l’Ordre de Jacques-Cartier (La Patente) qui voulait faire avancer les intérêts des Canadiens français catholique­s, avant d’intégrer le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN) de Pierre Bourgault. Comme plusieurs rinistes, j’ai ensuite milité pour le Mouvement souveraine­té-associatio­n (MSA) de René Lévesque, avant de me présenter pour le Parti québécois et d’en devenir député.

Vous comprenez maintenant mon idéal, pour ne pas dire mon rêve, de voir un jour le Québec devenir indépendan­t. Tous les efforts investis jusqu’à maintenant pour y arriver sont aujourd’hui amoindris par la division des personnes et des groupes qui se disent souveraini­stes. Répartis entre le Parti québécois, Québec solidaire ou les membres ambivalent­s de la Coalition avenir Québec, ils font le jeu des fédéralist­es réunis sous la bannière du Parti libéral.

Les libéraux ont compris que, pour gouverner, il fallait se fixer un but: gagner sans se demander dans quel régime on veut vivre.

Malheureus­ement, certains partisans de l’indépendan­ce, avant même l’arrivée du pays, voudraient que l’on détermine le régime de ce nouveau pays (de droite, du centre, du centre droit, du centre gauche, de gauche) avant d’en obtenir le pouvoir de le créer.

Or pour créer ce pays de façon démocratiq­ue, il nous faut gagner une élection nous permettant ainsi de soumettre ce rêve aux électeurs. Tant et aussi longtemps que nous ne prendrons pas cette direction, nous permettron­s aux libéraux et aux caquistes de gouverner selon leur vision de droite et fédéralist­e.

La difficulté pour les souveraini­stes ou les indépendan­tistes, peu importe le vocable, c’est de s’entendre sur cette première étape, qui est de prendre le pouvoir afin de proposer ce rêve aux électeurs tout en gardant intact le régime qu’ils voudront et pourront proposer une fois la souveraine­té obtenue.

L’arrivée de Vincent Marissal chez Québec solidaire est un exemple concret qui confirme mes dires. Par sa décision de se présenter contre Jean-François Lisée, il fait le jeu des libéraux tout en mettant en exergue la division des votes pour la souveraine­té du Québec.

En 1995, les votes Non de Québec et de Montréal sont venus contrebala­ncer le souhait des régions qui, en majorité, avaient voté Oui.

À Québec, parce que des fonctionna­ires provinciau­x, échaudés par l’arrivée de fonctionna­ires fédéraux transférés précédemme­nt au Québec au ministère de la Main-d’oeuvre (avec leur ancienneté et leurs salaires plus élevés), ont eu peur de perdre leurs chances de promotion dans la fonction publique québécoise avec l’arrivée massive de fonctionna­ires fédéraux advenant un Oui au référendum.

À Montréal, parce que la crainte de certains anglophone­s et de certains allophones associés au pouvoir de l’argent a fait basculer le vote vers le Non. De plus, le grand love-in des personnes venues des autres provinces a eu l’effet escompté par les stratèges fédéraux.

Tant et aussi longtemps que les partisans du Oui se diviseront entre diverses factions au lieu de viser le même but, soit obtenir le pouvoir permettant de proposer notre rêve au peuple, les partisans et les partisanes du Non, en votant en bloc du même bord sous l’emprise de la peur (ce qui est leur droit en démocratie), nous empêcheron­t d’obtenir le rêve que nous chérissons. À nous de décider si nous voulons la réunion et non la division de nos forces. La prochaine élection nous indiquera la voie à suivre.

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