Les expatriés libanais appelés aux urnes
Au Québec, plusieurs centaines de personnes se sont prévalues de ce droit de vote historique en vue des législatives du 6 mai
Pour la première depuis l’indépendance de leur pays d’origine, les Libanais vivant à l’étranger ont pu voter en prévision des élections législatives prévues le 6 mai prochain. Un droit démocratique salué et exercé par plusieurs, y compris au Québec, même si le scrutin des prochains jours ne devrait pas transformer le paysage politique du pays.
«C’est un moment historique pour les Libanais et pour le Liban. Plusieurs partis politiques sont présents aujourd’hui et il n’y a pas de conflit. Nous sommes tous frères et soeurs et nous sommes fiers de pouvoir exprimer notre opinion», a souligné au Devoir Sarah El-Khouri, rencontrée à Laval dimanche.
Derrière la jeune fille, dans le stationnement d’un édifice appartenant au Royal 22e Régiment, des centaines de Libanais faisaient la queue sous la pluie froide, pour pouvoir exercer leur droit de vote. Certains étaient arrivés avant même l’ouverture des bureaux de vote, à 7h du matin. «Il y a beaucoup de gens qui font la file pour venir voter. Tout se passe bien. Les gens sont enthousiastes», a résumé le consul général du Liban à Montréal, Antoine Eid.
Les Libanais se relayant derrière les isoloirs, après plusieurs minutes d’attente, sont venus de la région de Montréal, mais aussi de Québec, Trois-Rivières ou Sherbrooke, notamment, pour pouvoir voter. Et tous ceux rencontrés dimanche à Laval ont souligné le caractère «historique» de cette journée, mais aussi l’importance pour eux de venir voter. En tout, ils sont près de 6200 à s’être inscrits au Québec en prévision du scrutin, et plus de 12 000 à l’échelle canadienne.
Parmi eux, Joe Hayek, jeune militant de Forces libanaises, un parti présent à la Chambre des députés du Liban. «On croit en la liberté et en la démocratie. Nous sommes au Canada, nous avons appris à connaître cette culture de démocratie et nous voulons la transmettre au Liban. Si on exerce notre droit de vote, on peut contribuer au changement et ne pas revenir dans le passé », a-t-il expliqué visiblement enthousiaste.
Première historique
Il faut dire que c’est la première fois, depuis l’indépendance du Liban, en 1943, que les Libanais vivant à l’étranger peuvent voter aux élections législatives. Dans un pays où la vie politique est régie par un fragile équilibre confessionnel, la question a longtemps fait débat, illustrant
les rapports de force entre les différentes communautés religieuses.
Le droit de vote des expatriés était une revendication historique des leaders chrétiens, soucieux de maintenir leur communauté dans le jeu politique malgré l’émigration massive de leurs coreligionnaires, notamment au XIXe siècle et durant la guerre civile (1975-1990).
La disposition était déjà prévue pour les législatives de 2013, qui ne se sont jamais tenues, le Parlement élu en 2009 ayant prorogé à trois reprises son mandat en invoquant notamment des risques sécuritaires. Pour ce premier scrutin, il n’y a pas de circonscriptions spécifiques pour les Libanais de l’étranger. Leurs votes sont comptabilisés dans leurs circonscriptions d’origine.
Plus de 80 000 Libanais, inscrits dans 39 pays, avaient commencé à voter depuis vendredi. Un chiffre qui demeure relativement faible, comparé au nombre total d’inscrits dans
le pays, estimé à 3,7 millions, mais aussi comparé au nombre de Libanais dans le monde, estimé au minimum à un million, selon des experts.
Message démocratique
La diaspora dans son ensemble, y compris les descendants d’émigrants qui n’ont pas la nationalité, est quant elle évaluée entre 8 et 12 millions. Et selon la loi électorale, 6 sièges (sur les 128 que compte la Chambre des députés) seront alloués à cette diaspora aux prochaines législatives de 2022.
Politologue québécois d’origine libanaise, Sami Aoun estime que ce premier vote pour les Libanais vivant à l’extérieur du Liban est surtout l’occasion d’envoyer un message d’appui au système démocratique. «Ceux qui sont inscrits sont mobilisés et enthousiastes. Ils veulent du bien à leur pays d’origine et ils veulent appuyer l’exercice démocratique, qui est un des rares dans la région», a souligné M. Aoun.
«Ce vote est aussi une façon pour les Libanais de dire qu’ils préfèrent une démocratie, même imparfaite, à une situation de violence ou de guerre pour régler leurs différends», a-t-il expliqué.
Certes, selon lui, la situation politique de la région préoccupe grandement les Libanais. Mais les citoyens du pays souhaiteraient aussi que les autorités gouvernementales s’attardent davantage à certains «problèmes de base», comme le chômage, l’accès à l’alimentation électrique ou encore la salubrité.
Sami Aoun estime toutefois qu’au-delà de cette première historique, les élections législatives prévues le 6 mai ne devraient pas provoquer de changements majeurs dans le paysage politique du Liban. Tout au plus, les élections permettront un «rééquilibrage» des forces déjà en présence, a-t-il dit.
Ces législatives devraient toutefois asseoir un processus de stabilisation, dans un pays resté plus de deux ans sans chef d’État. Et qui a élu, en octobre 2016, le président chrétien Michel Aoun, avant de se doter d’un gouvernement d’union nationale, dont le Hezbollah fait partie.