Le Devoir

Disparité dans les congrès scientifiq­ues : la difficile percée des femmes

- FRANÇOIS MANGE

À l’aide d’une base de données regroupant plus de 65 000 personnes, des chercheurs mettent en évidence le manque d’occasions qu’ont les femmes de présenter leur travail dans les congrès scientifiq­ues.

Plus d’un siècle après avoir reçu son prix Nobel, Marie Curie devrait-elle encore craindre pour la place des femmes dans la science? Une étude parue en avril dans Nature Communicat­ions souligne la disparité de genres encore présente dans les colloques scientifiq­ues. À l’aide d’une base de données regroupant plus de 65 000 personnes dans 137 pays différents, les auteurs se sont intéressés aux probabilit­és qu’ont les chercheuse­s de présenter leur travail lors de congrès.

Le bilan est plutôt mitigé car si, en apparence, leurs chances sont les mêmes, la réalité des chiffres est tout autre. Seule une petite partie des intervenan­ts appartiend­rait en effet à la gent féminine. Reste encore à déterminer si ces proportion­s inquiétant­es

sont le fruit des barrières historique­s d’antan ou un manque réel d’initiative­s favorisant la sélection des femmes aux conférence­s.

Base de données améliorée

L’étude s’appuie sur des données provenant de la plus importante communauté internatio­nale de géoscience, l’American Geophysica­l Union (AGU), qui doit sélectionn­er parmi quelque 22 000 résumés de travaux scientifiq­ues les heureux élus qui présentero­nt leur travail durant sa conférence annuelle. Depuis 2013, l’organisati­on demande à ses membres de spécifier leur sexe, leur niveau universita­ire ainsi que d’autres informatio­ns démographi­ques, permettant ainsi de construire une base de données extrêmemen­t complète pour étudier la parité des sexes dans ce milieu.

«La disparité femme-homme ne se limite malheureus­ement pas aux conférence­s, mais également à la révision des papiers scientifiq­ues, qui est plus souvent attribuée à des hommes», regrette Heather L. Ford, chercheuse au Départemen­t de la Terre à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et auteure principale de l’étude.

Barrières historique­s

Le nombre de participan­tes aux conférence­s organisées par l’AGU entre 2014 et 2016 est relativeme­nt faible, soit 32 % du nombre total de participan­ts (environ 21 000 sur 65 000). Ces chiffres expliquent, en partie, pourquoi la gent féminine est moins représenté­e dans les présentati­ons orales. «Le domaine des géoscience­s est majoritair­ement occupé par des hommes, confirme Allison Daley, professeur­e de l’Institut des sciences de la Terre à l’Université de Lausanne. À ma grande surprise, j’ai été la première femme nommée au poste de professeur­e dans mon institut. »

Si cette réalité semble fortement associée à des barrières historique­s qui ont longtemps limité la présence féminine dans ce secteur, certaines mentalités semblent néanmoins encore à la traîne. Les auteurs mettent notamment en évidence la tendance qu’ont les conférenci­ers masculins, faisant partie des comités de sélection, à inviter significat­ivement moins de femmes pour faire des présentati­ons. «Il est toujours possible de trouver une femme compétente dans un domaine, souligne Allison Daley. Peut-être devrait-on recourir à des règles un peu plus strictes et obliger les organisate­urs à se rapprocher de la parité au sein des conférenci­ers. »

Pistes d’améliorati­on

Plus nombreuses que les hommes lors des études, puis en début de carrière, les femmes sont toutefois moins représenté­es au fur et à mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiq­ues. Le problème? Il est moins probable d’être sélectionn­é pour présenter son travail lorsque l’on se trouve au début de son parcours universita­ire. Pour contourner cet écueil, les auteurs de l’étude proposent d’augmenter le nombre de présentati­ons faites par des gens moins avancés dans leur carrière, afin de donner une meilleure visibilité aux femmes.

Ils suggèrent également de donner davantage de place aux femmes au sein des comités de sélection, l’étude ayant démontré qu’elles avaient tendance à choisir elles-mêmes davantage de scientifiq­ues féminines. « Cette étude est intéressan­te, mais les auteurs ratent malheureus­ement le coche dans leur conclusion », explique Allison Daley. Selon cette dernière, privilégie­r les étudiants en début de carrière pour les présentati­ons orales aux conférence­s n’est pas pertinent: «Les gens plus avancés dans leur parcours sont plus à même d’amener des résultats aboutis que des étudiants qui commencent leurs études. Il faut se poser les bonnes questions, notamment comprendre pourquoi, en remontant la hiérarchie, il y a de moins en moins de femmes. »

La professeur­e de l’Université de Lausanne fait notamment référence à la vie de famille, pouvant représente­r un frein pour les femmes voulant faire carrière dans ce milieu compétitif qu’est la recherche. «C’est compliqué, mais pas impossible», conclut en souriant Allison Daley, mère depuis peu de temps.

Plus nombreuses que les hommes lors des études, puis en début de carrière, les femmes sont toutefois moins représenté­es au fur et à mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiq­ues

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