Cadavre exquis
Evelyne de la Chenelière et Marie Brassard expriment des angoisses existentielles dans La vie utile
LA VIE UTILE
Texte: Evelyne de la Chenelière. Mise en scène: Marie Brassard. Une coproduction d’Espace Go et du Festival TransAmériques. À l’Espace Go jusqu’au 1er juin.
Pendant trois saisons, Evelyne de la Chenelière a offert ses pensées et ses états d’âme au grand mur du foyer d’Espace Go. À partir de ce vaste palimpseste de mots, de lignes, de couleurs et de formes, l’auteure a constitué un texte pour le théâtre, une partition franchement impressionniste, plus poétique que dialoguée, une toile d’angoisses existentielles que la mise en scène de Marie Brassard déploie ces jours-ci dans un lyrisme débordant.
L’action, si tant est qu’on puisse employer ce terme, se déroule dans une serre, au milieu d’une forêt. Décatie, trouée, transpercée d’une échelle, envahie par la végétation extérieure, recouverte de projections vidéo rendant un vibrant hommage à la flore laurentienne, la construction abrite une petite chambre, celle de Jeanne, personnage principal d’une introspection pour le moins foisonnante, un cheminement qui serait déclenché par l’imminence de la fin.
Première à briser le silence, à s’adresser directement au public, Evelyne de la Chenelière semble intimement investie dans cette plongée en soi, sorte de renaissance à l’orée la mort, une régression qui prend rapidement des allures de performance autofictionnelle. Alors que l’auteure incarne Jeanne adulte, Sophie Cadieux campe l’héroïne enfant, avatar contemporain et chantant de la Pucelle d’Orléans, jeune femme en colère, engagée dans sa propre chute, à peine née et courant déjà à sa perte.
Dotée de l’une de ces voix graves et déformées que Marie Brassard prend plaisir à créer depuis de nombreuses années, Christine Beaulieu incarne la mère, aussi drôle que névrosée, aussi aimante que castratrice. Quant à Jules Roy Sicotte, il tient le rôle du père de Jeanne, un personnage dont on saura peu de choses, si ce n’est qu’il multiplie les amants, beaux et jeunes. Finalement, la Mort, raison d’être de toute cette comédie humaine, est représentée sur scène par Louis Negin.
S’appuyant sur un déferlement de mots, où le lexique judéo-chrétien se taille une place de choix, la représentation est une sorte de cadavre exquis, un objet qui relève davantage de la juxtaposition que de l’agencement, de la sonorité que de l’essence, de la fulgurance que de la signification.
Ainsi, il arrive que le flot de paroles indiffère, qu’il lasse et même qu’il ennuie. Cela dit, comme il y a à boire et à manger, chaque spectateur tracera sa propre route, grappillera à sa guise dans le banquet, cueillera ce qui lui plaît dans ce luxuriant jardin de mots. En somme une pièce imparfaite, déséquilibrée, pétrie de craintes, mais aussi remplie d’espoir, peutêtre un peu comme l’humain face à la mort.