Le Devoir

La magie de Laurent Pelly

Très digne entrée de Cendrillon de Massenet au répertoire du Metropolit­an Opera

- CHRISTOPHE HUSS

CENDRILLON

Opéra de Massenet. Avec Joyce DiDonato (Cendrillon), Alice Coote (le prince), Kathleen Kim (la fée), Laurent Naouri (Pandolfe), Stéphanie Blythe (Madame de la Haltière), choeur et orchestre du Metropolit­an Opera, Bertrand de Billy. Mise en scène: Laurent Pelly. Mise en images: Gary Halvorson. Metropolit­an Opera, samedi 28 avril 2018. Rediffusio­ns : 9, 11, 13, 17 ou 23 juin selon les cinémas.

Créé à l’Opéra-Comique en 1899, Cendrillon de Massenet n’avait jamais réussi à intégrer le répertoire du Metropolit­an Opera. L’erreur a été réparée après 119 années, avec la présentati­on d’un spectacle monté par Laurent Pelly à Santa Fe en 2006.

Depuis 2006, l’admirable Cendrillon de l’équipe réunie autour de Pelly — Barbara de Limburg, pour les décors, et Jean-Jacques Delmotte, assistant Pelly dans la conception de costumes aussi déjantés que mémorables — a été vu à Londres, Bruxelles, Barcelone et Lille. Il a été filmé en 2011 au Covent Garden, avec le même tandem Joyce DiDonato-Alice Coote et le même chef, Bertrand de Billy. Cette captation a été publiée en DVD par Virgin (devenu Erato).

La production de New York partait avec plusieurs avantages. Tout d’abord Laurent Naouri en Pandolfe, bien meilleur que le très fatigué JeanPhilip­pe Lafont qui plombait la distributi­on londonienn­e. Naouri, seul francophon­e du plateau, a montré de ce que devrait être le niveau du Met en matière de déclamatio­n dans l’opéra français. Avec DiDonato et Coote, ainsi que Stephanie Blythe, Naouri avait heureuseme­nt des partenaire­s de grande culture. Mais on attend du «Met de Yannick Nézet-Séguin» qu’il engage désormais, dans des rôles subalterne­s, des jeunes Québécois ou des jeunes Français pour nous épargner des Américains baragouina­nts qui font tache, comme celui qui tenait le rôle du roi.

L’opéra, un art ennuyeux?

Dans la distributi­on, l’irrésistib­le mère marâtre de Stephanie Blythe crevait l’écran, surpassant même Ewa Podlés (Londres). Kathleen Kim, en fée, valeur très sûre mais stéréotypé­e, semblait parfois décalquer son rôle et ses gestes de poupée Olympia des Contes d’Hoffmann, les deux soeurs, campées par Ying Fang et Maya Layani, surpassant en abattage scénique leurs homologues anglaises.

Au fil du temps, le spectacle s’est raffiné. La production de New York était ainsi nettement plus habilement éclairée que celle de Londres (décor dans la première scène, section de la fée et ses elfes) avec, en prime, de nouvelles idées de mise en scène, comme la première apparition de Cendrillon par un trou de souris. La caméra, toujours inutilemen­t agitée de Gary Halvorson, laissait à peine apercevoir que cette trappe était ornée du mot «souffrir», tiré des quelques lignes du conte reproduite­s sur les murs.

Ce Cendrillon est, hélas, un volet archétypiq­ue à mettre au passif de ce réalisateu­r, dont la nervosité a beaucoup parasité le spectacle dès le monologue initial de Pandolfe. Quelle est la nécessité intrinsèqu­e de changer si souvent de plans en une découpe nerveuse allant à l’encontre du rythme de la musique et de l’action scénique déjà si riche et mouvementé­e? L’opéra estil un art si ennuyeux?

À la fois sérieux, magique et très drôle, notamment dans le défilé des prétendant­es et la scène de l’essayage de la pantoufle, le spectacle intemporel de Laurent Pelly est au diapason de la «féerie lyrique» de Massenet. Il était intéressan­t donc de le documenter une seconde fois, en version peaufinée, y compris avec ce tandem troublant de deux voix inhabituel­lement proches incarnant Cendrillon et le prince.

Dommage qu’un certain Gary Halvorson se soit mis, une fois de plus, en travers du chemin au lieu de se contenter d’être le témoin privilégié d’un moment de grâce.

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KEN HOWARD METROPOLIT­AN OPERA Depuis 2006, le Cendrillon de l’équipe réunie autour de Pelly a été vu à Londres, à Bruxelles, à Barcelone et à Lille.

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